jeudi 30 octobre 2008

Le sonnet de curro


attention ! pour comprendre ce qui suit il faut avoir eu sous les yeux le texte publié par campos y ruedos à propos de jorge laveron.
en le parcourant des coulées de souvenirs ont giclé.
au début,je voulais ajouter juste un commentaire.
mon grain de sel.
au bout de quatre mots j'ai senti qu'il fallait aller plus loin dans la saignée.
alors voilà.


préalable :
lecture du texte de solysombra puis de vicente llorca.

pause.

clavier.

en avant.

moi je lis ça et j'ai la larme à l'œil mêlée à l'envie de me saouler.

parce qu'on a tous nos laveron quelque part dans nos ventricules.

en plus, le vrai, le jorge, on a envie de le croiser calle etchegaray et de lui payer un coup à boire juste pour avoir encore soif après.

c'est le plus important, d'avoir soif après.
avant, ce n'est pas avoir soif, c'est se désaltérer.
écouter les jorge c'est vouloir être plus assoiffé après qu'avant.

la phrase sur curro, c'était juste le lendemain de sa dernière oreille coupée à madrid.
l'année de l'expo.
1992.
la 'épo, comme ils disaient, sur le bras mort puis réactivé du oued-el -kebir.
la 'épo qui avait permis de virer les derniers gitans de triana et de les installer pour toujours aux tres mil.
poligono sur.

mais en lisant des guides pour touristes on peut encore tomber sur ce genre d'âneries : " triana. quartier des gitans de séville ".
jetez le guide et passez un coup de fil à bobote. c'est plus sûr.

la mascotte de la 'épo c'était un personnage qui ne collait pas à séville, genre le monde enchanté des polipockets. mais il s'appelait curro.

Ce jour-là d'octobre comme seul madrid peut en enfanter,
Curro -le vrai- un taureau, un tio de jao moura pas un toropocket, l'avait attrapé.
on l'avait cru mort.

Le moura s'appelait “soneto”. C'était bien curro ça, se faire trouer la couenne par un sonnet.

Son confiance avait commencé la vuelta avec l'oreille demandée et obtenue par l'aficion la plus exigeante du monde quand soudain
l'infirmerie s 'est ouverte.
comme la mer rouge.
et curro en a surgi pour achever la vuelta pied nus, le romarin aux naseaux.
Aqui soy yo.

En descendant des tendidos j'ai aperçu chinito.
Il avait l'air d'un prince dans son pantalon de toile rouge, sa liquette blanche et ses chaussures en paille , alors que tout le monde portait jaquette.
j'ai voulu l'embrasser. Il avait disparu. un elfe ça ne se rattrape pas.

Je ne sais pas, mais sa faena au curro de mi arma -20 passes, 12 peut-être - c'était une solera de la génération du 27.
un truc de pruneau , de noix et de cire descendu par tirage successif jusqu'à nos pieds.
un truc pour avoir soif ensuite pendant un bon millier d'années.

C'est simple, joaquin vidal avait écrit dans sa chronique : “Tres minutos después de iniciada su faena al cuarto toro, Curro Romero ya había hecho todo el toreo. “ .

juste après, on avait croisé jose maria velazquez (el pais aussi, supplément du dimanche, branche flamenca, canal rito y geografia del cante ) dans ce bar où on chante la salve rociera à minuit, toutes lumières éteintes.
« toi tu chantes »
« un peu »
«  tu chantes por fandango » il avait dit à mateo.
«  et toi » brusquement vers moi « toi, tu chantes por buleria, ça se voit ».

juan n'était pas d'accord sur notre currismo échevelé.
il disait les choses avec du recul .
j'étais bien incapable d'en avoir, du recul : en un trincherazo, un changement de main et quatre passes à gauche donnés avec une muleta tenue large comme une corde à linge, celui de camas m'avait projeté hors du cosmos. Pour prendre du recul c'est trop loin.

thierry avait débarqué,
un brin de romarin à la boutonnière.
Habillé en progre madrilène qui a trouvé sa canaillerie.
je l'aimais bien thierry , mais du coup jose maria est parti.
Il nous avait juste redonné soif.
C'était le principal.

Le lendemain jorge laveron cognait sec et précis :
« qui n'aime pas curro n'aime pas sa mère » ,
donc , et aussi «  curro est à inscrire à l'unesco, section patrimoine de l'humanité ».

alors on est parti avec toute la clique et olivier toréer des vaches à san agustin de guadalix.

sinon aujourd'hui,on serait encore à madrid.

en train d'étancher notre soif.

mardi 28 octobre 2008

Fourmis ( II )



claude pelletier, le grand, avait écrit :

« toros en verkhojansk  ! faut en avoir de la tripe taurine pour monter une semaine du même nom et la terminer par une novillada en règle...au mois de novembre ! Chapeau ! ».

et le chapeau de claude, qu'il ne portait que sur son coeur, ne se levait pas à tous endroits et à tout moment. Ses enthousiasmes étaient précieux. son humanité prolixe. et son aficion ...dantesque.

là, devant le pari de la peña jeune aficion de saint-sever, il s'était incliné.
Aujourd'hui, et ce depuis maintenant deux ans, sa photo et celle du tio pepe ornent les murs du nouveau local sis à la rue des ursulines. Ce sont eux les lares de l'endroit.

La paix de leurs sourires, qu'ils affichent fixés à jamais sur l'argentique, apaisent les joutes oratoires qui souvent s'étirent dans des nuits de tertulia de comptoir homériques. auparavant ils ont accompagné de leur présence puis de leur mémoire les faenas de salon de 4 heures du matin , les palmas et les cantecillos des fonds de verres, les « viva paula » de toute la vie, les heures d'histoires de campo jusqu'aux aurores gasconnes, les « media veronica » données sous des ole à s'arracher la gorge dans la placita au cachet inimitable de la rue louis sentex, mais aussi les taconeos por sevillanas au milieu du trouble des coeurs, le fumet des papas con chorizos rédemptrices après les maintes libations... parce que s'il faut vivre , autant le faire avec excés.
la monumental des jacobins

Il y a maintenant des portraits supplémentaires accrochés à la pierre apparente, parce que jacques et vincent , et d'autres aussi , les ont rejoints... le souvenir de tous nos aimés disparus est propiatoire là-bas. C'est un endroit où se côtoient sans problème les arcanes de la crypte mémorielle et les allures de la caseta de feria. Le respect et la folie sans brides mélangés.



Depuis le verkhojansk de 1985 la manifestation a bougé, évolué, douté, grandi, appris, semé. Son étoffe s'est renforcée sans se perdre dans le trop chamarré.
Au milieu du cadre délicieux du cloître des jacobins les spectacles (flamenco, jazz, danse contemporaine cette année ) trouvent leur identité, les conférences atteignent la haute tenue réclamée par un lieu où l'on conserve une partie des beatus, les toiles, les sculptures, les installations emplissent la soute du vaisseau de la grande nef de toute la force des artistes héritiers des pigments de lascaux et le dimanche , au coin de la rue lafayette, à la sortie de la messe en l'abbatiale, les dévots se trouvent nez à nez avec une manade de taureaux lancée sur les traces des meilleurs coureurs d'encierro depuis saint-luc .



Et surtout, en fin d'après-midi de chaque 11 novembre, les torils des arènes de morlanne laissent filtrer cette lumière horizontalement inédite des automnes allant vers l'hiver. Les taureaux qui en sortent ont parfois le pelage qui vire au gris bleu d' une posée de palombes. Les noms et le sang des élevages qui sarclent la silice clament haut et fort la diversité et la recherche de la quête perpétuelle de la caste poivrée voulues par l'esprit des socios depuis le début de l'aventure.

On voit sur les gradins les haleines se condenser et résister quand elles croisent la légère purée du tabac exhalé.
en piste les coups de reins des recortadores font monter la température et les doigts qui palpent la percale restent inhabituellement gourds pendant la prueba de capotes.
morlanne, crayonner les feuilles en rouge, jaune et marron et on y est

Tout cela se sait et s'harmonise dans la tendresse des regards que l'on croise ,des poitrines qu'on serre, des mots qu'on se donne au coin de la table où se partagent les agapes.
Une temporada s'étiole doucement. Les cuadrillas mettent leurs dorures au repos sous une toile blanche et sur les cintres pour quelques mois, certains novilleros ruminent déjà l'herbe supplémentaire du taureau d'un an plus âgé qu'ils auront à affronter dès le printemps prochain. d'autres songent aux peaufinages de leur technique, en rêvant que le père noël déposera un carreton au pied de leur sapin.
le père noël a de ces idées, parfois


les corps se lâchent.
La fête sauvage se grandit.
une dernière fois.
mais avec toute la force d'une renaissance perpétuelle.
Saint-sever, ici, et d'autres villages ailleurs, sont les maillons vitaux de la chaîne de nos aficion.
Claude et jean-pierre darracq l'avaient compris. Ils les célébrèrent en leur temps.
qu'un simple hommage leur soit rendu en faisant de cette nouvelle édition un éclat de réussite à enchasser dans nos mémoires.

voilà, il y a donc déjà 24 ans, les insectes de l'aficon nous couraient encore dans les jambes à l'approche de la courbure des fahrenheit, parce qu'au confins de la chalosse il y avait une poignée de passionés qui prétendait que la saison des taureaux ne devait connaître ni équinoxe et ni solstice.
Franchement, qui se plaindraient de ces fourmis-là ?

-Bueno, ciego, eso de las hormigas...no sé. Pues, cantame algo , un tanguillo de cai para calentar las manos y que se vayan las hormigas.

-No, no...no me viene nada de flamenkito. Pero te diré algo jondo. Aunque no sea de soniquete.escucha :

“Est-ce que quelque chose a changé?
Couchons-nous sur les fourmis rouges
Pour voir si l'amour est resté
Et voir si l'un de nous deux bouge,
Couchés sur les fourmis rouges.”

( michel jonasz / les fourmis rouges / 1981 )
l'affiche de l'année dernière. signée mathieu sodore

samedi 25 octobre 2008

Fourmis (I)


dans cette affiche , tout est dans les détails. pour en savoir plus, rendez-vous plus bas .

le dilemme n'est pas simple. au mois de novembre qui s'annonce, deux manifestations concomitantes donnent au ciego l'agréable sensation du picotis des dernières fourmis automnales d'une aficion dont la sève aurait tendance à s'engourdir.
pour ne pas avoir à tergiverser longtemps, choisissons le critère chronologique pour servir la première rasade.

le festival " mira ! " , dit du sud extrème !!! ( ils ont "quitté" l'étiquette "insolent" des programmes. c'est déjà mieux ), revient sur bordeaux et la cub pour sa deuxième édition , suite au succès de l'esquisse initiale il y a deux ans ( pourquoi ? parce qu'il y a alternance avec la scène toulousaine, tout simplement ).
la création contemporaine ibérique sous ses formes musicales , plastiques, théâtrales... y a droit de cité. en cliquant sur le lien on a toutes les infos dont on nécessite.
la partie qui aborde le flamenco donne à voir cette année le spectacle d'andres marin, la venue de buika, la rencontre d'aurélien bory et de stéphanie fuster,la présentation de tito el frances et le retour d'israël galvan, qui fut la découverte, le choc même, pour le grand public du premier festival.
allez, on met le nez dans le verre et on dissèque les arômes...



andres marin calera ses zapateados dans "el cielo de tu boca". l'originalité vient de sa collaboration avec llorenç barber. le sieur barber étant clochologue. certains diront avec malice que 'il ne doit pas chômer par les temps qui courent et que cette spécialité est un créneau d'avenir. perfides ! le type est vraiment sur scène entouré d'une batterie de campanas de métal qui participent à la mise en place d'une chorégraphie où résonnent les équilibres de l'académisme et les ruptures de la tradition interrogée.
donc, dans ce ciel sévillan (andres est fils d' andres , bailaor géniteur de renom, et d'isabel vargas, cantaora )il y aura une bouche de bronze et un corps de jonc. manque la gorge, la matrice vitale du flamenco originel. elle sera présente sous trois formes : celle de segundo falcon ( familia de los janega ), jose valencia ( dans son arbre généalogique traînent paco la luz et manuel de paula, jerez et lebrija. caray ! )et enrique soto ( familia de los sordera ). et puis la guitarre de salva gutierrez et les palmas d'antonio coronel.
voilà pour la forme. la silhouette est belle. les contours ont de la charpente. pour le fond, il faut attendre mercredi 12 novembre.



"Il dansait,seul. Ce n’est pas qu’il s’avançait devant d’autres moins virtuoses que lui pour faire un solo, non. Ce n’est pas simplement qu’il évoluait sans partenaires de danse.
Il semblait, plutôt, danser avec sa solitude, comme si elle lui était, fondamentalement, une « solitude partenaire », c’est-à-dire une solitude complexe toute peuplée d’images, de rêves, de fantômes, de mémoire 12. Et, donc, il
dansait ses solitudes, créant par là une multiplicité d’un genre nouveau."
c'est ainsi que georges didi-huberman vit apparaître israël galvan pour la première fois sur la scène du théâtre de la maestranza.il en a tiré un essai ( "le danseur des solitudes"/éd. de minuit ),magistral, où cet historien de l'art ( spécialiste d'esthétique ), philosophe enseignant à l'ehess, tente de traduire la fascination devant l'intensité d'un danseur se jouant lui -même des codes et des standards pour mieux aller gratter,fouiller, fouailler la mémoire et rendre hommage aux racines de son langage artistique ( il y a une jubilation profonde, jonda, que veut faire partager galvan sur scène, lui qui fut élevé dans l'extrème dureté de l'école la plus impitoyable, celle de son père, pepe galvan ).
longtemps regardé comme une bête curieuse, dédaigné par les obtus, israel a continué à chercher et à avancer vers l'exposition de ses désaccords intimes pour revigorer aujourd'hui toute la scène flamenca. une des preuves les plus flagrantes des sincérités réciproques qui animent cet artiste et les flamencos plus "traditionnels", c'est qu'il est entouré pour ses derniers spectacles ( "arena", "la edad de oro" et "este estado de cosas" ) de cantaores tels que diego carrasco, fernando terremoto hijo ou miguel poveda. il faut avoir vu diego cantar a israel por bulerias et israel lui donnant le meilleur de son baile pour balayer tous les derniers propos un peu offusqués des gardiens de l'évolution. mas puro no se puede.



je ne dirai mot sur bory et fuster. c'est l'inconnu. ça m'aiguillonne, alors j'irai voir et entre deux ronda de vino, je narrerai.
quant à tito el frances, patricio mi arma, il sera lundi soir dans falseta sur radio campus pour un mano a mano que nous espérons stimulant. sachez simplement que sa "performance" s'intitule "flamenco et jambon" ( d'où l'afiche ). ça ne vous met pas la couenne à la bouche ?
reste le cas buika.



ses albums , sa voix, sa beauté, sa présence en font l'égérie d'un flamenco frotté aux univers musicaux du jazz, de la cancion, de la musique métisse. c'est souvent harmonieux et superbe. d'une grande dignité. d'un savoir-faire de brio. ça reste en dedans si on pense aux rajos, aux morsures, aux échos veinés de la mine des béatitudes et des plaintes flamencas. c'est pourtant magnifique. le problème c'est que ça le reste. peut-être évoluera-t-elle vers une approche de palos plus délicats. certainement, car sa voix a des atouts et son parcours cherche ces incarnations difficiles.



bon , vale ciego, vale, mais c'est quoi le concomitant, ciego ?
c'est la semaine taurino -culturelle de la peña jeune aficion de saint-sever.
ah ? qu'est-ce qu...
quieto. me tomo un sorbo y veremos despues. que ahora :

"apporte-moi ce rubis dans un verre de cristal ;
ce compagnon, ce familier parmi les libres,
puisque tu sais que ce monde de poussière
n’est qu’un souffle qui passe… apporte moi-du vin"


(omar khayyam)

mardi 21 octobre 2008

L' homme exalté


le pantalon pincé et la chemise blanche qui bouffe ne longiligne pas forcément la silhouette...
mais le personnage qui virevolte au milieu de ce jardin affronte l'ombre qui se dresse devant lui avec crânerie et prestance.
dans les tressauts noirs et blancs d'une caméra super 8 un homme tend un foulard ornementé aux liesses du vent et tente d'esquisser quelques passes à un taureau de cour de récré.
parfois il y a résurgence d'une tauromachie de mouvements, de recours et de prouesses comme sur les vieux films où l'on voit joselito el gallo.
avant ces instants volés, il y a eu un paseo ouvert par un homme, dont le corps est cintré dans une nappe ou une couverture, suivi d'un cortège de femmes et de bambins , drôles et heureux d'imiter le trot allègre des chevaux du train d'arrastre.
le torero au foulard, qui va ensuite provoquer son adversaire imaginaire, ferme le ban , une baguette à la main, jouant plutôt là le rôle du monosabio de fortune. cette courte et frêle baguette se fera ensuite,un peu,estaquillador, puis son bois sera investi des qualités supposées du meilleur acier tolédan pour une estocade donné à corps perdu mais hors des canons de l'art de cuchares.
on croit apercevoir, dans un plan surexposé de quelques secondes , que des récompenses (faux chapeaux, cigares de pacotille ? ) tombent de gradins imaginaires...
fin de la bobine.
cet homme, c'est albert camus.
nous sommes dans les années 50 en algérie. parmi les enfants, sa fille catherine. le personnage qui ouvre la pantomime est certainement un ami de cette époque.
ce qui est poignant, c'est la voix de l'écrivain qu'on entend en impression sonore sur les images et qui distille un discours à l'ironie et à l'amertume humaniste en commençant par ces mots : "le bonheur est une activité originale".
ces quelques minutes exceptionnelles ouvrent le documentaire consacré à camus par jean daniel et joël calmettes dans la série "un siècle d'écrivains" ( première diffusion 1999 france 2).
javier figuero rappelle avec bonheur cette scène d'archive personnelle quand , dans son essai "camus ou l'espagne exaltée" , il relate la première de la pièce de picasso ("le désir attrapé par la queue") donnée le 19 mars 1944 chez louise et michel leiris.
albert camus y assiste, avec pléiade de beau monde -intellectuels , artistes ou acteurs - réunie autour du peintre pour une de ces soirées où les topiques de l'espagnolisme, comme le souligne figuero , n'étaient pas absents, comme à chaque fois que quelque chose se faisait en présence de l'irradiant "pablo de malaga" .
une photo de brassaï immortalisant les amis du "désir attrapé..." en juin 44 dans l'atelier du peintre (on reconnaît debout, de gauche à droite : Jacques Lacan, Cécile Eluard, Pierre Reverdy, Louise Leiris ,Zanie Aubier, Picasso, Valentine Hugo, Simone de Beauvoir puis assis : Sartre, Albert Camus, Michel Leiris, Jean Aubier et Kazbek, le berger afghan de Picasso)

leiris , l'auteur de "l'âge d'homme" qui voulait introduire "ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une oeuvre littéraire", allait pouvoir compter sur camus, mais aussi char ou jean paulhan, pour devenir dans son cercle d'intimes un de ceux qui resteront marqués par cette fascination du rituel des corridas.
plus loin dans son ouvrage, l'auteur cite emmanuel robles qui, lorsqu'il connut camus, affirmait "qu'il avait ce regard des hommes de l'arène habitués à vivre en constante familiarité avec la mort".
à un autre endroit du texte, javier figuero parle du bref séjour que camus effectua sur la seule terre espagnole, insulaire cependant, qu'il foulera de sa vie , en l'occurrence les baléares (il en tirera "amour de vivre" qui fait partie de "l'envers et l'endroit" , son premier livre). "l'envers et l'endroit" en folio...tiens, avec en couverture un détail de claude vialat, plasticien aficionado

là encore, il cède la parole à emmanuel robles pour rapprocher ces souvenirs de la fréquentation qu'ils eurent à alger d'un bar de la casbah , "chez coco", où maraudait une faune cosmopolite , étrange, fascinante et sensuelle. parmi les habitués il y avait des danseuses et des chanteurs de cante jondo qui donnaient à camus la chair nécessaire pour mieux comprendre lorca, "les gitans et leurs gitaneries" comme le confia une nuit camus à son "frère de soleil".

on croise au fil des pages toutes les forces de résistance intelligente et intelligible de ces années passionnantes de l'après-guerre. l'espagne , cette patrie intérieure, ne le quittera pas non plus au coeur de son amour partagé avec maria casares.
affiche de "de sable et de sang" de jeanne labrune, film où maria casares joua un de ses derniers rôles. dernier lien ténu entre camus et le théâtre des arènes.


politiquement, ses liens avec solidaridad obrera, la CNT, les libertaires ou les républicains de toute obédience en exil, seront extrèmement forts. quand on pense qu'une partie de la gauche radicale en arriva dans les années 70/80 à conchier le nom d'albert camus , sous prétexte de colonialisme soi-disant mal digéré (lui, le pauvre parmi les humbles,l'anti-bourgeois par excellence, la modestie et l'orgueil de ses origines prolétaires exaltés en personne !)c'est, aujourd'hui, à la lecture des hommages qui lui furent rendus à sa mort par toutes les confédérations anarchistes et ouvrières pour son soutien indéfectible, véritablement engagé et désintéressé envers les combattants et les réfugiés de l'espagne des vaincus, véritablement sidérant !


cet essai, publié aux éditions autres temps, tente d'analyser la part de sève ibérique qui irrigue l'oeuvre du nobel algérois, cette part léguée par cette mère analphabète, frustre mais aimée, donc sublimée dans la patrie maternelle mais surtout dans les hommes qui l'habitent et l'histoire qui la façonne.
d'ailleurs, cette entame célèbrissime, au tempo de marée d'équinoxe incomparable , " aujourd'hui maman est morte. ou peut-être hier je ne sais pas" , résonne comme un écho à l'indifférence dont meurt l'espagne au bout de cette europe qui la laisse souffrir et s'étioler sous le joug du franquisme.
ce sont ces deux mères , celle du sang des sintés et celle de la terre qui palpitait dans son ascendance, que camus, lui et pratiquement lui seul au milieu du microcosme intello du paris des 30 glorieuses, ne lâchera , tout au long des années de dictature noire ou après les somations intimées à la suite de l'attribution du prix nobel, qu'une fois l'absurde croisé une dernière fois au bord de sa route, un matin de janvier 1960.

nb : la photo d'en-tête est bien sûr d'henri cartier-bresson.

mercredi 15 octobre 2008

Petite laine en bord de tage


le portugal est certainement une des plus belles choses qui me soit arrivée de connaître, de goûter, de lire, de regarder, de partager. il y a peu en fait. bien après l'espagne. ce fut comme une fraiche montée de limon.
à ce propos, il y a un texte, dont le lien est , qui est beau comme un bord de tage.
l'auteur, laurent larrieu, use de mots qui font une haie d'honneur avec ce qu'il faut de saudade à nos frères lusitaniens au travers de la figure ganadera des palha.
en cette fin de temporada un peu bizarre et morose (seuls les feux saint-séverins lancent encore des étincelles avec force au loin. on en reparle d'ailleurs très vite) le ciego profite de cette opportunité d' aficiones pour lancer un appel à toutes les amitiés du quartier virtuel.
oh, rien de grandiloquent, de définitif ou même de semblant de colère ou de harangue pour monter à la charge des créneaux d'où on nous méprise un peu, quand même, ces temps derniers (le mépris, c'est quand on n'a pas assez de force pour être indifférent ) mais à l'inverse, un morcau de pure poésie , celle de fernando (comme palha, comme villalon ) pessoa pour nous mettre sur l'épaule un peu de laine d'espoir.

"Amenez vos rêves sur cette terrasse d'où l'on voit la mer. Je veux rêver avec vous à haute voix, que ma voix tisse avec les vôtres une histoire où nous puissions nous défendre de la vie comme dans un cocon. (...) Je veux que nous rêvions ensemble. Si certains vivent ensemble, pourquoi d’autres ne rêveraient-ils pas ensemble ? Y a-t-il une différence certaine entre le rêve et la vie ?"
(fernando pessoa / le privilège des chemins / éd. jose corti )

mardi 14 octobre 2008

Archipiels 16 ( a palo seco )





"trois par trois
comme autant de tercios de combat
igual que un ramillete de letras de cante
des archipiels pour gravir à la brume
la première pente des maquis poétiques.
une ascension au fanal de plusieurs nuits."


l'intérieur des surins
les dents du harpon

et le cosmos

c'est là

qu'il se resserre
sous le brasier des ronces


(tientos)


au crépuscule

puis au matin
il s’est perdu

dans une cicatrice

ses ongles blancs
sortent
du ventre des plaies
sous l’orage des buis


(fandango)


dans la fosse
aux étincelles
il a un son de coquelicot

il décroche
les pulsations friables
près du cerceau
des rives

il lève la salve
de la dernière lune

car lui seul
l'a vue ivre
avec
seulement
trois notes de vin mat.


(remate)


ludovic pautier (autopsie des chants profonds)


avec ces trois dernières salves et par ce remate se termine cette autopsie poétique.
suivront d'autres textes livrés à la parole sèche et qui forment avec ceux-ci un ensemble monté et "dit" une première et seule fois en mai 2007 au théâtre de l'onde de vélizy-villacoublay accompagné par la fission des harmoniques de l'accordéon de jesus aured (un accordéon !? comment un instrument, apparemment aussi éloigné de l'orthodoxie flamenca, peut-il sonner tan jondo ? sans jeu de mot : jesus's misterio )

nb : illustration "recuerdos" de patricio hidalgo.

vendredi 10 octobre 2008

Comptoir tissé



au cours de balades, imprécises et au gré des affinités électives de ses tournées de comptoirs tissés, le ciego a cillé tout à coup sur un rade de lumière caustique et tendre. agridulce. un pisco sour muté à la pertinence des agrumes quand il décide de ne plus se tenir coi... quand il faut savoir attendre son éclairage. c'est une vraie parole. celle de laurent de "lettres, politique et duende" qui vit dans le quartier le plus anciennement taurino de paris. un bout de ce qui tangue encore des faenas littéraires d'eugène sue.
je pousse sa porte tous les jours. des fois, sur son comptoir, l'oeil noir du café est absent. mais soudain il est juste là , entre vos doigts, brûlant, sans sucre. a paladear (expression sans équivalent qui vante l'évidence que même le plus humble des possesseurs d'une bouche est tout de même riche d'un palais).

mercredi 8 octobre 2008

Archipiels 15 ( a palo seco )



"trois par trois
comme autant de tercios de combat
igual que un ramillete de letras de cante
des archipiels pour gravir à la brume
la première pente des maquis poétiques.
une ascension au fanal de plusieurs nuits."


il a un frère
glissé sous le sel juif
de Séfarad

(petenera)


il a un père
cloîtré d'un turban
de merle noir

(zambra)



il a un amant
sa voix fouille la neige
de son aisselle

(buleria)



ludovic pautier ( autopsie des chants profonds )

nb : en portada, tomasa guerrero carrasco "la macanita".
la photo est de paco sanchez.

dimanche 5 octobre 2008

Les espagnoles


oyez, oyez,

Du 9 au 23 octobre, la 5ième édition du festival "Lettres du monde" invite à découvrir l’Espagne par la diversité et la richesse de sa littérature. Près de 60 moments proposés en Gironde et en Aquitaine : bibliothèques, librairies, cinémas, centres culturels, écoles ou université.
 
L'association Lettres d'échange met en place chaque année différentes actions intitulées Lettres du monde, destinées à favoriser la découverte des cultures et des littératures étrangères à travers le territoire. Des programmes de rencontres d'auteurs et de lectures, accompagnées parfois par des expositions, des films, de la musique... sont proposés aux communes et aux structures partenaires.
 
Des rencontres avec de nombreux écrivains, illustrateurs et traducteurs : Bernardo ATXAGA, Andrés BARBA, Itxaro BORDA, Olivier CHARPENTIER, Florence DELAY, Juan Manuel DE PRADA, André GABASTOU, François GAUDRY, Alicia GIMÉNEZ BARTLETT, Guy JIMENES, Mariasun LANDA, Julio LLAMAZARES, José Carlos LLOP, Claude MURCIA, Carmen POSADAS, Sonia PULIDO, Jean-Marie SAINT-LU, Edmond RAILLARD, Enrique VILA-MATAS

Des lectures de textes, classiques et modernes, parmi lesquels : SEINS (Ramón Gómez de la Serna), LA PLUIE JAUNE (Julio Llamazares), DON QUICHOTTE et LA VIE DE LAZARILLO DE TORMÈS, L’OMBRE DU VENT (Carlos Ruiz Zafón), LE FILS DE L’ACCORDEONISTE (Bernardo Atxaga), et pour les plus jeunes IHOLDI ET AUTRES HISTOIRES (Mariasun Landa), SHOLA ET LES LIONS (Bernardo Atxaga), des COMPTINES ESPAGNOLES, données par les écrivains eux-mêmes ou par des comédiens, parfois accompagnés de musiciens – Michel ETCHECOPAR, Agusti FERNANDEZ, German DIAZ ou Kepa JUNKERA.

la piel de toros literarios

cette grande manifestation se déroulera en Gironde et en Aquitaine de Bordeaux à Anglet, de Saint-Ciers-sur-Gironde à Lège-Cap Ferret, et aussi à Andernos-les-Bains, Bègles, Beychac-et-Cailleau, Blanquefort, Canéjan, Cestas, Eysines, Gradignan, Gujan-Mestras, Le Haillan, Léognan, Lormont, Mérignac, Pessac, Talence... près de 60 moments proposés dans des bibliothèques et des librairies, mais aussi des cinémas, des centres culturels, des écoles ou à l’université.

bon,ce n'est que du copié/collé. on ne va pas s'ennuyer à paraphraser laborieusement ce type de pensum ( je parle du type de texte informatif, pas de l'événement lui-même ).
simplement, en addenda :
- le programme complet avec les lieux, les heures et les intervenants c'est là.
- allez écouter florence delay dont le ciego a déjà dit tout le bien qu'il fallait, mais aussi llamazares. je profite d'ailleurs de la présence de son nom ici pour célébrer son poème "la lenteur des boeufs" ainsi que la maison d'édition peu connue mais indissociable de la poésie contemporaine de qualité fédérop, et pour saluer jean-paul loubes qui le conseilla vivement à la ronde il y a de cela quelques années entre deux verres de jurançon (j'étais dans la ronde. dès qu'un verre tinte, je danse).

julio llamazares tomandose un cafelico (pas chez le ciego, dommage)

et comment oublier vila-matas, écrivain protéiforme et surcultivé comme on peut trouver des athlètes survitaminés ( mais jamais pédant, pas de risque de dopage quoi ), alicia gimenez-bartlett dont les polars barcelonais, centrés autour des enquêtes de son héroîne l'inspectrice petra delicado, sont d'un bon usage (là, merci à karine, d'une librairie assez réputée pour ne pas donner réclame à son enseigne).
- mentionnons aussi le quichotte abordé par alain chaniot qui est un metteur en scène et un acteur de grand talent et regrettons l'absence des poètes (à part llamazares mais il ne vient pas pour cela) et de leurs traducteurs (jacques ancet lisant son ami disparu jose angel valente est un moment exceptionnel et c'est dommage de ne pas l'offrir aux aquitains hispanolocos).

ferlosio en una foto pareciendose a un buho (un hibou) despistao

- enfin, j'aurais aimé voir s'attabler sur l'estrade de quelque bibliothèque ou librairie un peu foutraque la silhouette épaissie mais terriblement charnelle de rafael sanchez ferlosio surmontée de son regard à la douceur sans concession ,si cher à mes compagnons sol y moscas et papa negro, car dans son empathie il n'y pas de place pour les mièvreries ou les compromissions contemporaines.et c'est bien comme ça.
de ce grand écrivain qui joue du réalisme fantastique, et que je qualifierai aussi de moraliste , on en reparle cet hiver mais en attendant plongez-vous dans les trois seuls ouvrages disponibles à ce jour en france de l'auteur : les eaux du jarama (bartillat), alfhanui (verdier)et le témoignage de yarfoz (actes sud).

voilà. c'était la page culturelle avant l'apéro.
merci de votre attention.

mercredi 1 octobre 2008

archipiels 14 (a palo seco)



"trois par trois
comme autant de tercios de combat
igual que un ramillete de letras de cante
des archipiels pour gravir à la brume
la première pente des maquis poétiques.
une ascension au fanal de plusieurs nuits."



dans ce règne lapidaire

la demie obscurité
de son souffle
allongé dans le suc

devient
sous la caresse
des travaux et des jours

sa fille

sa mère

son frère

son père

et son amant

(martinete)



sa fille est une nuit
où la mort frôle

(siguirya)


sa mère s'est enlacée
aux ciels de soude


(solea)

ludovic pautier (autopsie des chants profonds)


nb : si atentos estais habria notao que hoy se salto a la torera el numero 13 de los archipielagos. pero sabeis tambien que este numero trae mal fario y otras cosas que no veas. ademas como tiene costumbre de pasar por aqui mi amiga la señora condesa, y que su alteza es mas superticiosa que mi gato, no quiero que se asuste ella, ni tampoco los amigos que tengo en la barra. o que otra vez el mal ojo le impide acudir a deleitarse de pinchos flamencos (como parece que ocurrio hace unos dias). , .

nb2 : al cante luis torres joselero de moron y al toque el inmenso diego del gastor.