mardi 21 octobre 2008

L' homme exalté


le pantalon pincé et la chemise blanche qui bouffe ne longiligne pas forcément la silhouette...
mais le personnage qui virevolte au milieu de ce jardin affronte l'ombre qui se dresse devant lui avec crânerie et prestance.
dans les tressauts noirs et blancs d'une caméra super 8 un homme tend un foulard ornementé aux liesses du vent et tente d'esquisser quelques passes à un taureau de cour de récré.
parfois il y a résurgence d'une tauromachie de mouvements, de recours et de prouesses comme sur les vieux films où l'on voit joselito el gallo.
avant ces instants volés, il y a eu un paseo ouvert par un homme, dont le corps est cintré dans une nappe ou une couverture, suivi d'un cortège de femmes et de bambins , drôles et heureux d'imiter le trot allègre des chevaux du train d'arrastre.
le torero au foulard, qui va ensuite provoquer son adversaire imaginaire, ferme le ban , une baguette à la main, jouant plutôt là le rôle du monosabio de fortune. cette courte et frêle baguette se fera ensuite,un peu,estaquillador, puis son bois sera investi des qualités supposées du meilleur acier tolédan pour une estocade donné à corps perdu mais hors des canons de l'art de cuchares.
on croit apercevoir, dans un plan surexposé de quelques secondes , que des récompenses (faux chapeaux, cigares de pacotille ? ) tombent de gradins imaginaires...
fin de la bobine.
cet homme, c'est albert camus.
nous sommes dans les années 50 en algérie. parmi les enfants, sa fille catherine. le personnage qui ouvre la pantomime est certainement un ami de cette époque.
ce qui est poignant, c'est la voix de l'écrivain qu'on entend en impression sonore sur les images et qui distille un discours à l'ironie et à l'amertume humaniste en commençant par ces mots : "le bonheur est une activité originale".
ces quelques minutes exceptionnelles ouvrent le documentaire consacré à camus par jean daniel et joël calmettes dans la série "un siècle d'écrivains" ( première diffusion 1999 france 2).
javier figuero rappelle avec bonheur cette scène d'archive personnelle quand , dans son essai "camus ou l'espagne exaltée" , il relate la première de la pièce de picasso ("le désir attrapé par la queue") donnée le 19 mars 1944 chez louise et michel leiris.
albert camus y assiste, avec pléiade de beau monde -intellectuels , artistes ou acteurs - réunie autour du peintre pour une de ces soirées où les topiques de l'espagnolisme, comme le souligne figuero , n'étaient pas absents, comme à chaque fois que quelque chose se faisait en présence de l'irradiant "pablo de malaga" .
une photo de brassaï immortalisant les amis du "désir attrapé..." en juin 44 dans l'atelier du peintre (on reconnaît debout, de gauche à droite : Jacques Lacan, Cécile Eluard, Pierre Reverdy, Louise Leiris ,Zanie Aubier, Picasso, Valentine Hugo, Simone de Beauvoir puis assis : Sartre, Albert Camus, Michel Leiris, Jean Aubier et Kazbek, le berger afghan de Picasso)

leiris , l'auteur de "l'âge d'homme" qui voulait introduire "ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une oeuvre littéraire", allait pouvoir compter sur camus, mais aussi char ou jean paulhan, pour devenir dans son cercle d'intimes un de ceux qui resteront marqués par cette fascination du rituel des corridas.
plus loin dans son ouvrage, l'auteur cite emmanuel robles qui, lorsqu'il connut camus, affirmait "qu'il avait ce regard des hommes de l'arène habitués à vivre en constante familiarité avec la mort".
à un autre endroit du texte, javier figuero parle du bref séjour que camus effectua sur la seule terre espagnole, insulaire cependant, qu'il foulera de sa vie , en l'occurrence les baléares (il en tirera "amour de vivre" qui fait partie de "l'envers et l'endroit" , son premier livre). "l'envers et l'endroit" en folio...tiens, avec en couverture un détail de claude vialat, plasticien aficionado

là encore, il cède la parole à emmanuel robles pour rapprocher ces souvenirs de la fréquentation qu'ils eurent à alger d'un bar de la casbah , "chez coco", où maraudait une faune cosmopolite , étrange, fascinante et sensuelle. parmi les habitués il y avait des danseuses et des chanteurs de cante jondo qui donnaient à camus la chair nécessaire pour mieux comprendre lorca, "les gitans et leurs gitaneries" comme le confia une nuit camus à son "frère de soleil".

on croise au fil des pages toutes les forces de résistance intelligente et intelligible de ces années passionnantes de l'après-guerre. l'espagne , cette patrie intérieure, ne le quittera pas non plus au coeur de son amour partagé avec maria casares.
affiche de "de sable et de sang" de jeanne labrune, film où maria casares joua un de ses derniers rôles. dernier lien ténu entre camus et le théâtre des arènes.


politiquement, ses liens avec solidaridad obrera, la CNT, les libertaires ou les républicains de toute obédience en exil, seront extrèmement forts. quand on pense qu'une partie de la gauche radicale en arriva dans les années 70/80 à conchier le nom d'albert camus , sous prétexte de colonialisme soi-disant mal digéré (lui, le pauvre parmi les humbles,l'anti-bourgeois par excellence, la modestie et l'orgueil de ses origines prolétaires exaltés en personne !)c'est, aujourd'hui, à la lecture des hommages qui lui furent rendus à sa mort par toutes les confédérations anarchistes et ouvrières pour son soutien indéfectible, véritablement engagé et désintéressé envers les combattants et les réfugiés de l'espagne des vaincus, véritablement sidérant !


cet essai, publié aux éditions autres temps, tente d'analyser la part de sève ibérique qui irrigue l'oeuvre du nobel algérois, cette part léguée par cette mère analphabète, frustre mais aimée, donc sublimée dans la patrie maternelle mais surtout dans les hommes qui l'habitent et l'histoire qui la façonne.
d'ailleurs, cette entame célèbrissime, au tempo de marée d'équinoxe incomparable , " aujourd'hui maman est morte. ou peut-être hier je ne sais pas" , résonne comme un écho à l'indifférence dont meurt l'espagne au bout de cette europe qui la laisse souffrir et s'étioler sous le joug du franquisme.
ce sont ces deux mères , celle du sang des sintés et celle de la terre qui palpitait dans son ascendance, que camus, lui et pratiquement lui seul au milieu du microcosme intello du paris des 30 glorieuses, ne lâchera , tout au long des années de dictature noire ou après les somations intimées à la suite de l'attribution du prix nobel, qu'une fois l'absurde croisé une dernière fois au bord de sa route, un matin de janvier 1960.

nb : la photo d'en-tête est bien sûr d'henri cartier-bresson.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

j'adore cette photo, pour le texte siempre igual

Anonyme a dit…

moi aussi , j'adore cette photo, dont j'avais oublié de mentionner l'auteur, (pourtant ! )et ton com' me permet de réparer l'omission.
le passage sur les libertaires , ça te cause , non ?

Anonyme a dit…

Eh oui ,Ludo et n'en déplaise à certains cela va perdurer hasta la muerte .

Anonyme a dit…

Excuses mais je peux pas resister.
Christine Lagarde ,ministre érotomane néo libérale:"les bourses montent ,les bourses descendent ,quand la situation est tendue".

Anonyme a dit…

Cagüen, leer esto y quedarme sólo como el soniquete, qué lástima.

La condesa de Estraza

Anonyme a dit…

que gusto al encontrar un comentario suyo por aqui señora condesa (aunque se que pasa por la barra del ciego a tomar su soniquete con leche muy a menudo).
lo siento por el idioma. este invierno tendré que entablar unos trasmontes mas. peroespero que le ha gustao camus toreando al sirocco en el video.

un saludo con cariño

ludo

Anonyme a dit…

Saviez-vous qu'Albert CAMUS était membre du Club Taurin de Paris? C'est ce qu'il affirme dans une lettre du 24 avril 1950 à René CHAR (in "Albert Camus, René Char - Correspondance 1946-1959", Gallimard 2007, page 64). De même, page 60 - lettre du 17 avril 1950, CHAR se plaint que la revue Empédocle - à laquelle CAMUS et lui contribuent alors - refuse de publier "un très bel essai sur la tauromachie"; et, page 69 - lettre du 7 juin 1950, CAMUS à CHAR "Le poème sur le taureau me tient compagnie, épinglé à la tête de mon lit, depuis un mois" (René CHAR "Le Taureau", un des "Quatre fascinants" - intégré dans le recueil "La parole en archipel")...
Bien à vous et suerte pour votre blog - Bernard GRANDCHAMP

Anonyme a dit…

je savais pour empédocle (discussion avec olivier qui est un camusiano de postin)et je compte acheter la correspondance char/camus pour un addenda à ce post. mais pour le ct de paris a-t-on d'autres précisions ? qui présidait à l'époque ? en tout cas figuero affirme que camus s'intéressa toute sa vie à los toros au même titre que paulhan et leiris , ce dernier ayant la palme du "practico" (cf annie mailis l'écrivain matador).
merci en tout cas pour ces précisions qui devraient passionner "el papa negro" , lecteur de ce blog et féru de tout ce qui se rapporte à camus et à rené char.
bernard, you're welcome.


ludo