dimanche 30 novembre 2008

"Tout idéal d'un bâton est d'être dans la main qui le brûle"



xavier klein , dans sa brega, a ouvert une série de post ("histoires de piques") qui permettront de balayer l'histoire du « palo », ce morceau de bois issu de l'arbre protecteur auquel nous sommes tant redevables pour l'intégrité et la perennité de la tribu.
bizarre ? non, car au bout ce de développement historique et symbolique il y a son souci de montrer l'importance du premier tiers et les dangers de sa dégénérescence . Si l'homme a dès le départ affronté le taureau à l'aide d'une lance il faut en connaître les raisons épistémologiques à l'heure où cette phase du combat se dilue dans le non-sens. En effet, quel sens garder à une rencontre qualifiée de « symbolique » quand justement tout le symbole a disparu ou plus exactement ne revêt plus qu' une importance anecdotique, vite déclinée , avec de moins en moins de respect pour certains canons de son exécution aux yeux des officiants (j'inclus dans cette catégorie ceux qui acceptent de « s'encercler «  dans une arène, c'est à dire le public, élément permanent ternaire du drame).

bien sûr, quand on se « coltine » (avec délectation )quelque chose de cet acabit, les portes de la réflexion s'ouvrent alors sous les coups de rafale de la pensée rhizomique.
Pour moi, immédiatement, le bâton c'est c'est celui de la marche en montagne.
peut-être le makila.
Ou encore le « baston de mando » des amérindiens ou des patriarches gitans.
Et puis surtout, les”palos”, ce sont les styles qu'on retrouve dans l'arborescence du cante.
arbol del cante. à chaque ramure un "palo".


Et enfin, c'est celui où serge pey écrit des poèmes.
Voici ce qu'en dit yves le petispon sur le site d'emmanuel riboulet-deyris "l'astrée » :


« Serge Pey emploie des bâtons. Il y inscrit ses poèmes avec de l'encre noire et de l'encre rouge. Il y marque des figures . Il y trace des rythmes.
Ces bâtons sont de longs piquets de bois qu'il polit, puis qu'il peint.
Il les tient dans les mains quand il dit ses poèmes. Il les lit. Il danse avec eux. Ce sont ses armes, ses compagnons, ses âmes.
Voilà trente ans que Serge Pey emploie des bâtons. Il en fait des fagots. Il en pend à des murs, à des portes. Il les installe. Il les dispose sur des sols, dans des pièces, autour des arbres, ou des pierres. Il tient le monde face à lui, à bout de bâton. Il le contacte par le bâton. Il s'y enfonce à coups de bâton. Il rythme sa marche en lui par le bâton. Il l'exorcise et le captive par le bâton.
Ses bâtons lui viennent des chamans, des rêves, des mythes, des sourciers, des bergers, des enfants.
Ils sont le lyrique trait.
Je les aime d'autant plus que je faisais des bâtons, étant gosse, pour des combats. Le plus gros était un totem peint au minium...
Quand je tiens un bâton de Serge Pey, j'ai en main l'amitié, le rite, le souvenir, le bâton de berger qui m'a effrayé, dans un grenier de mon grand-père, et qu'enlaçait un serpent sculpté.
Ces bâtons font mémoire. »

maintenant, si on creuse ce qui fait résonnance entre le comptoir d'ici et l'oeuvre de pey on trouve maintes raisons d'en faire un « oublié » des approches officielles des rédacteurs de la liste des auteurs estamplillés comme « compagnon de route » de nos aficions ( le ciego ne crache sur rien, il se contente de rétablir les marges de la liste, les dépliures de la doxa, les lambeaux de l'affiche ) .

pourtant, dans la bibliographie de serge pey on trouve ainsi directement des liens avec les taureaux et le flamenco.
tout démarre avec « tauromagie/ Copla infinie pour les hommes-taureaux du dimanche » , pièce théâtrale écrite en 1995 et porté à la scène par le cornet à dés sur une mise en scène de jean-pierre armand.
C'est aussi la première aventure d'un texte de l'auteur avec des artistes importants du mundillo flamenco de sa ville de toulouse.
La première version de “tauromagie” sera portée par le baile cathartique de la morita, le chant de mariano zamora,la musique de salvador paterna, le capote de stéphane pons. Viendra se greffer par la suite la guitare de kiko ruiz.
l'aventure sera noce et toujours fidélité entre lui, elle, eux.
stéphane pons et corinne "la morita". arte (muusho !) y aficion !


Mais de quoi s'agit-il ?
L'oeuvre s'engouffre dans l'histoire de la bailaora de toulouse « la joselito », fille de réfugiés politiques et baptisée ainsi par le torero le plus célèbre de la dynastie des « gallos » parce qu' enfant, elle l'impressionna en dansant pour lui et que , partant de là, il lui offrit de porter son apodo.
Quelque temps plus tard jose gomez mourait sous la corne d'un taureau de la viuda de ortega. le nom de la bête, « bailador », (danseur)permet à pey de créer une cosmognie où lui-même s'intègre, à travers la revendication de sa généalogie : ses parents lui ont transmis la mémoire de l'anarchisme expulsé de l'espagne franquiste à l'instar de ceux de la joselito.
Cette géné/analogie dont il est friand emporte le texte vers des sommets de souflle martelé.
Mais ce martélement est relié à la terre, instinctivement tellurique.
Ainsi de la joselito il dit qu' "avec son zapatéado elle lisait la terre avec les pieds ».
il continue en psalmodiant « nous avions une bouche / à chaque pied/qui nous appelaient à creuser/des zéros/où des yeux nous regardaient ».


mais ce n'est pas tout.
serge pey récidive en 2000 avec « les aiguiseurs de couteaux » (éditions des pollinaires). récidive, car la joselito est décédée deux ans plus tôt et pey entreprend, avec ce long poème, d'accompagner sa disparition d'un hommage posthume qui ne dit pas son nom, où il reprend la mythologie des hommes taureaux du dimanche.

“Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas
c'est lagartijo et frascuelo les deux danseurs de la terre
Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas
c'est muchacho un taureau enterré dans le ventre de la terre
Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas
c'est le 28 mai dans le ciel bleu de la terre
...
Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas
ce sont des marécages de cheveux dans la neige rouge de la terre
Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas
ce sont des gitans de cordoue de pure veste et de terre
Toi qui défais le cercle qui me fait ne me défais pas
c'est la corne sous-marine du taureau rouillé de la terre
... “
(extrait du chant des palmas dans « les aguiseurs de couteaux »)


serge pey n'a pas fait que simplement se frotter l'écriture à l'espagne.
Suite à cette publication, il cofonde une troupe ,en espagnol éponyme, «  los afiladores ».
Sur scène il y a toujours zamora, mais cette fois-ci avec juan jimena ou jose mena. Et l'auteur, of course, “bâtonnier” chamanique.
De cette équation de personnalités brûlantes naîtra aussi “nous avons porté la montagne sur notre dos” dans un temps de scènes intenses, notamment à la cave poésie toulousaine, haut lieu de la parole.
On s'y rassemble autour d'une roue de rémouleur, celle de l' oncle de pey, aiguiseur de lames du quartier de st cyprien.
Pey taille des fils dans la mémoire collective pour en mieux voir la trame invisible, celle qui a occulté tout un pan de la lutte et de l'exil des républicains d'espagne. il les amène à resurgir pour tisser des cordes qui relie ses bâtons entre eux.

aiguiser le poéme.


Plusieurs spectacles seront ainsi montés et montrés notamment à uzeste car l'auteur est de la famille affectivo/poémolitique de bernard lubat (de même qu'il est dans la parentèle de beñat achiary et son erriko festibala ) .

"Méthode de guitare à José Mena

Si tu veux encore jouer pour elle
place ton chapeau
sur ta guitare
pour cacher tes mains
Tire des cordes
dans l ‘encadrement
d'une porte
et fais une guitare
de toute ta maison.
Jette tes mains
dans le puits de ta guitare
pour qu ‘elles rencontrent
leur double dans le jour
Fais remonter tes mains
du fond de ta guitare
puis défais les cordes
par l'intérieur de la caisse
et commence seulement à jouer
sur tes propres mains."

(in « les aiguiseurs de couteaux » ibid)


à l'époque des aiguiseurs.

Aujourd'hui le groupe est dispersé, les chemins où poussent des bâtons perdurent vers d'autres constellations mais sans rien perdre de leurs azimuths.
Il reste la vitalité de la scène flamenca toulousaine.
Il reste la cavepo de rené gouzenne où heureusement los toros n'ont toujours pas la couleur des infamies du prosaïquement correct.
Il reste les poèmes/actions de serge pey.
Il reste ce compas de voûte plantaire qu'il enfonce dans la bouche de celui qui l'écoute.
Il reste ce limon du delta du taureau et des hommes qui dansent sa mort et que le poète sait fouiller. Il en enduit chacun de ses mots. enfin il les enflamme.

nb1 : une bio de pey.

nb2 : dans le lien sur gouzenne on trouvera un beau texte d'isabelle soler qui ne doit pas être oubliée comme acteur important de la scène de la danse toulousaine. son frère perdro , guitariste, accompagna la joselito entourée de pepe de la matrona et el niño de almaden dans le classique " les riches heures du flamenco".

nb3 : un lien vers une vidéo de tv oc où on voit serge pey en action devait figurer ici. ce soir ça ne marche pas. demain...si je m'emmêle pas les bâtons.

nb4 : le titre est extrait d'un texte de serge pey.

mardi 25 novembre 2008

Sous la force d'un rêve


22h48.
il est tard. tard ?
je ne sais pas. tard pour prendre le temps de penser à lire, penser et écrire sur le souvenir d'un être qui décida de disparaître par lui-même il y a maintenant 17 années de 365 jours un quart chacune ?
le ciego a peu de choses à conter ou à réveiller pour parler de christian montcouquiol.
j'étais dans une voiture en route pour salies-de-béarn, pyrénées atlantiques, quand j'appris la nouvelle de son suicide par la radio.
il faisait froid dans cette carcasse métalisée au mauvais chauffage, dans cette nuit de novembre trainant, mais les larmes réchauffaient mon cou en passant sous le col de la gabardine.
il y avait quelqu'un à côté de moi qui ne comprenait pas.
je ne comprenais pas non plus pourquoi ces larmes étaient chaudes et m'envoyaient des frissons.
quand nimeño II retomba en fracas sur le sable des arènes de la tour sarrazine en septembre 1989 j'étais aussi ce jour-là à salies. pour la fête du sel. la fête du goût des larmes. la fête sauvage.
on oublie souvent de se traduire cette image métaphorique de la tauromachie jusqu'au bout.
christian est allé jusqu'à cette extrémité. il l'a côtoyée au plus près, il l'a désirée, il l'a érigée en sens de sa vie, il l'a endurée. il en est mort.

son frère alain a certainement écrit deux des plus beaux ouvrages de la littérature française pour raconter ce sel lacrimal.
il dit le voyage de chacune des larmes qui sont tombées ces deux jours-là et au-delà du temps.
voyage d'amour, de désespoir.
d'où viennent nos larmes , salées come la mer où gisent nos sédiments les plus anciens ?
voyage des origines.

il est tard. mais j'ai pris le temps de bivouaquer chez marc delon. il y avait là un beau texte de jean-paul mari avec ceci :

"Il était mince et fragile, comme un adolescent qui vit son amour mais ne sait pas en parler. Aux autres les discours, les analyses et les envolées ; lui vivait le mythe taurin, brut et sans recul. On l'aimait, parce qu'il était celui qui portait le rêve."

il est tard. je cherche le "discours de la taverne" d'olivier.
il est tard. je fouille dans le fatras mémoriel d'une bibliothèque mal rangée comme mes souvenirs.
mais je ne le trouve pas.
j'ouvre alors un vieux texte. écrit en pensant à un homme tombé sous une balle et à un autre sous la force d'un rêve.

"qui n' a rien vu entendu sourdre et éclair
comme gifle latent tenace pas indolore
seule trace sa résonance t'oblige à voir
piment en mince filet d'eau presque froide
tu sais traque des espaces émietter le sang
lait visqueux à la hâte abondante
rimmel paupière
de bas – ventre

tu souffles calme
calme est dans tes yeux
a la couleur blanc calme
répand systole

tout est dans la suite

qui la connaît
monte son gibet
accroche aux murs mots de lèpre du monde
scierie en apesanteur

cris

main ramasse chair dans copeaux
moins dans le bois des tripes
roue le sillon se démonte
éberluée sous lie de l' étamine

tu meurs et c’est
couvrir vent
avec glaise
des mots vécus

c’est sentir sous la cendre
le nu de ton halo"


ludovic pautier ( la fenaison des yeux clos )


nb1 : la photo est de jean-bernard reynier.

jeudi 20 novembre 2008

And the vencedor est ...


Hola! (je ne sais toujours pas où se trouve le point d'exclamation à l'envers sur mon clavier...)

Etant joueur je te livre les associations d'idées survenues à la vue de la repro dans les pinchos (il s'agit comme toi d'empiriques découvertes), voilà donc en vrac:
-La repro: il s'agit d'un tableau de John Sargent intitulé (je crois) El jaleo.
-Egorgement: Le modèle de la danseuse du tableau était "la camencita", danseuse flamenca gitane que Sargent a représenté plusieurs fois, de plus la toile doit être à peu prés contemporaine du Carmen de Bizet. Donc de Carmencita, Carmen à Don José tirant sa navaja d'Albacete pour égorger la gitane ensorceleuse il n'y a qu'un pas que je franchis allègrement!
-Blas Vega: La repro du tableau en question sert de couverture au Diccionario enciclopédico del flamenco en deux volumes publié au début des années 90 et réalisé par Manuel Rios Ruiz et...José Blas Vega.
-John Wayne: Dans une scène de Alamo des mexicains chantent dans une taverne dont le décor s'inspire clairement du tableau en question de Sargent. Alamo est un des rares films réalisés par John Wayne.

...Il ne te reste plus qu'à réaliser un montage avec José Blas Vega déguisé en mexicain, égorgeant une carmen devant la toile de Sargent (avec bien sûr pour la bande sonore tous les habitués du comptoir du ciego faisant du jaleo...)

Un abrazo fuerte

Mateo



recevant la missive de l'ami mathieu sodore, je lui ai répondu ceci dans la foulée :

mateo,
j'avais hésité à proposer un réglement de concours drastique dont j'aurais exclu
les ressortissants français vivant au portugal , car si j'étais sûr qu'il existait quelqu'un qui pouvait trouver c'était toi !
bien joué !
seule petite inconnue que tu n'as pas réussi à traquer jusqu'au bout : el deguello, l'égorgement, est un thème du sound track de el alamo de wayne. c'est un solo de trompette qui s'élève depuis les rangs de l'armée de santa anna qui encercle le fort.
ça donne cela dans le film (attention,transcription de souvenirs cinéphile )quelqu'un dit (un assailli) : c'est beau...c'est quoi ? (effectivement c'est
tragiquement superbe)
travis répond (c'est le chef du fort joué par laurence harvey) : el deguello,
l'égorgement...
gloups...
la musique est signée dimitri tiomkin.
voilà.

un abrazo mù fuerte tio.

ludo


le véritable "pas de quartier" des armées mexicaines n'était pas ce morceau écrit spécialement par tiomkin mais il a été historiquement prouvé qu'il était usité.
ce thème est aussi présent dans l'inégalable "rio bravo".
alors pour mateo, une récompense à ce jeu sans rien à perdre, le fameux "deguello".



nb 1: la bailaora qui figure dans le film de wayne est jouée par teresa champion, encore vivante et dont je vous livre le lien actuel en hyper texte.
nb 2 : il y eut en 2004 un remake du "the alamo" je ne sais s'il est à la hauteur du chef d'oeuvre de ce réac de john.

mardi 18 novembre 2008

un jeu /un recreo / a game


allez, ce soir le ciego a l'esprit subrepticement allègre et joueur. un brin cabochard. avec une pointe de défi.
c'est simple, c'est un jeu.
quel rapport y a-t-il entre la repro ci-dessus, john wayne, un égorgement et jose blas vega.
je sais, c'est muy tontico , comme tout quizz un peu chausse-trape.
c'est très tendance hyper-texte.
j'ai découvert cette corrélation que je vous soumets il y a quelques années, bien avant l'apparition d'internet, des moteurs de recherches, des wikis de toutes sortes...aujourd'hui ce qui m'était apparu comme une trouvaille relevant du grand hasard et de quelques références petitement savantes peut-il se rembobiner par le fil de la toile ? (ou alors vous fîtes la même empirique découverte que moi).
qui s'y colle ?

nb : il n'y a strictement rien à perdre (c'est comme ça qu'on motive les gamblers en temps de crise je crois ).

vamos, esta noche el ciego tiene un estado de animo subrepticiamente alegre y de recreo. un pelin cabezota. con su punto de desafio.
sencillamente, les propongo un juego.
que tienen que ver entre ellos la reproduccion de la pintura de arriba,john wayne, un deguello y jose blas vega.
ya lo se. la cosa es muy tontica, como todo quizz un poco embustero.
es muy de moda hiper-textual.
descubri esta relacion que les someto hace años, mucho antes de la llegada del internet, de los motores de busquedad, de los wikis de todos modos... ahora, lo que me parecio un hallazgo de gran suerte aliado a unas referencias minimas puede rebobinarse por el hilo de la red ? ( o sea que hicisteis el mismo descubrimiento empirico que el mio ).
quien se apunta ?

nb : no hay nada de nada por perder. (asi creo que se estimulan los gamblers en tiempos de crisis).

dimanche 16 novembre 2008

Archipiels 18 ( agujetas )



manuel de los santos pastor "agujetas" vit dans un cri. le sien.
il l'abrite derrière le derme granuleux de son corps. un moellon de résistance à tout équarrissage de la modernité prédatrice.
quand il est là, on a l'impression d'être à côté du premier homme modelé dans le limon de gaïa et ses dents en or plaqué je suis sûr qu'il les possédait déjà lorsque le ventre de sa mère l'expulsa.
terre et or bruts.
agujetas est de ces sans alphabet cher à pepe bergamin. parce que quand il fait irruption avec son chant cavernicole tout devient babélique. il n'y a plus d'entrave à s'entretenir de l'émotion primale qui nous étreint.
tout passe définitivement par les yeux. ils chiassent, ils pleurent, ils rient, se gondolent, s'esperpentent,se dessillent, ils s'étoilent, s'affolent, se convulsent, s'arrondissent, se désorbitent, ils s'allient à tout le langage universel des corps que le cantaor articule et désarticule à coups de marteau indicibles.
sur cette sauvagerie proverbiale tout a été dit. le documentaire de dominique abel , "agujetas cantaor", ayant d'ailleurs donné une dimension quasi mythique à l'héritier du "viejo".

ici c'est dans un martinete en mano a mano avec manuel moneo, que l'oeil de saura a réussi à l'encercler, à acorralarle. et là, il y a cet instant exceptionnel où on entend une sirène hululer au loin, crevant la ouate du plateau, les couleurs chaudes du décor,l'intimité forgée par l'empathie du lieu et des acteurs. alors les pupilles luminescentes d'agujetas s'agitent, il semble désemparé, il voudrait fuir, ne plus entendre ce qui la ramène à son histoire, lui, le dernier issu d'un peuple stigmatisé.
c'était en 1995. depuis, l'europe a remis le couvert sous d'autres cieux avec d'autres "agujetas" nés beaucoup plus à l'est de jerez.
pour eux, pour philippe, pour tous ceux qui vivent debout : "amono manue".



sur chaque moisson

un pas
de lande sèche

la trace
d’un visage

que tu as ligoté


ton étoile
de chair
dit

la nuée faible
ou l’autre d’une langue

l'œil
dans ton poing haut
semble traîner

le temps d'écrire
l’huile
dans la glaise

au vent
que tu as pris.


les feux
se couvrent
de fragiles craies

et froncent
ton silence


au second souffle de ce feu
il y a
secousse

sa flamme
halète

sur une hanche
d' ivoire brisé

la langue
se tait
dans l'incision

un infime suinté de sang
se prolonge
jusqu’au souffle de l'autre

jusqu’au poids de sa chair.


ludovic pautier (la mémoire des bris )


nb1 : j'ai laissé, par respect pour tout le monde, le martinete dit par moneo (otro monstruo ). la sirène c'est vraiment tout à la fin et il faut tendre les esgourdes.

nb2 : on fête cette année le centenaire de la naissance d' agujetas el viejo.

bn3 : sur la photo le tocaor c'est carmona. je méconnais l'auteur de l'objet.

vendredi 14 novembre 2008

Archipiels 17 ( a paquera )



francisca mendez garrido "la paquera de jerez" était un chaudron roussi aux lèche-flammes de sa reata ,sa lignée , de son quartier , el barrio de san miguel , et de ses facultés, sans bornes.
"caracolera" de tête, dans l'eau bouillonante de son cante tous les azimuths s'entrechoquaient quand elle commençait à "trembler" por bulerias. sa voix accroche et ravaude, tonne et susurre, passe le colet et pardonne.
dans "flamenco" de carlos saura, c'est à elle que revient l'espace qui ouvre l'opus. la caméra, par en-dessous, cintre une expression unique, cette chair empesée est soudain la corde d' un arc, la concentration de sa flèche n'ayant qu'un but, la vrille des peines dans le bonheur d'exister et de le clamer.
sous son ventre la seule amarre est un diaphragme.la houle est dans ces mains qu' elle agite pour se quitter la foudre qui la sauve et la tue.
jamais je n'ai pu voir ou revoir ce parcours de caméra fluide "sauresque" sans que cette puissance océano-tellurique de nouveau ne m'assaille.
la paquera est morte en avril 2004. juste avant la feria del caballo. elle est hija predilecta de sa ville et son ayeo retentit encore rien qu'en disant cela : " paquera ! "

sur le revers
de ta bouche

le pli du hasard
s'enrobe
en mur de lambeaux

tu laisses boire des îles

où se désosse
le creux des typhons

à ces morsures
dans l'absence

tu glisses
le cristal

soudain rouge liquide
du réveil


dans les craquements
de l'osier


tu claques
le bois

pour que le feu
prenne à l'intérieur

et respire.


ta salive

écoute le retour

au silence

des parchemins
montent de ta gorge

sur ta peau

ils ont la sueur âcre
douce et lacérée

au-delà

lestée
d'ouragans de jaspe

ta main tenue
est l'horizon

comme citadelle
indéchiffrable


ce regard complexe

vrille
de ton ventre

les charrettes de feu

une moiteur
tenue tout près

avec aux genoux
des corchures.


ta voix

accole à la vie
une nuit de lanière


percé
de son aiguille

tu demandes
à la pluie

d’orienter vers toi

sa lumière d’âme



les tempes blessées
de ton histoire

ou plutôt
leurs silhouettes
de disgrâces

sont les rhizomes
harmoniques

à l' ubac
des cimes

désenneigées sans lutte


tu vas vers l'aurore
de cette ecchymose large
que tu connais.


ludovic pautier ( la mémoire des bris )

mercredi 12 novembre 2008

A sophie


flamenca, aficionada, aimable, avec un sourire chaud comme un petit matin de madeleine, sophie a fermé ses beaux yeux noirs il y a quelque temps déjà.
elle continuait à vivre avec la seule force du compas des systoles et des diastoles.
la sienne mais aussi celui de l'amour de ses parents et ses amis.
depuis hier le souvenir de cette vie emportée est définitif.c'est terrible mais le grand chariot du deuil peut enfin s'avancer.
j'y fait monter deux simples choses. je crois qu'elle aurait aimé cela :

"buena copla es la que deja
al que canta o escucha
en el corazon consuelo
y en los labios amargura"



"dessine avec de l'eau et le verre
d'un trait la branche d'amandier

bien que la maison près de la mer
ait à présent disparu"


(lorand gaspar / patmos et autres poèmes / gallimard poésie )

mardi 11 novembre 2008

Ce sang est un ciel de l'ange sorti de terre ( l'enfant de saint-sever )


Les anges se mordaient les ailes en même temps que de leurs doigts ils repoussaient l'émail vers des frontières
liquoreuse
de vermeil
là où ocre elle devenait bleue la terre subissait la meule fendue du sabot

l'enfant voyait des taureaux pour la première fois il sortait sa langue et léchait
lèvre
sous la rigole du nez d'un geste d'icelle

il aurait aimé jouer dans la petite boue qui se formait à chaque pas de l'animal et chaque mouvement rose de l'homme aux doigts mouillés parce qu'il fouillait de sa main
le ru du sacrifice

l'enfant tapait de son poing dans l'air
seuil de ce silence sombre accroché aux flancs creux du crépuscule bousculé de milliers d'ampoules minuscules larves scintillantes accrochées au-dessus de l'os de celui qui ne sait pas qu'il pleut jusque dans la lourdeur serpentine de la cape pliée
et laissée là à la bonne distance de la main tordue qui peut attraper la corne avec un astre

l'enfant n'a pas vu l'ange
et rien n'est sorti de la petite boue
alors il a rangé sa langue pour poser un baiser sur le cou endormi de son frère
le derme mua en frisson trainé sur la crête des dominos qui se renversent jusqu'au cercle de l'homme aux doigts que le vent suce au vol
là où la rosace des naturelles
a repris son goutte à goutte dans la main d' un ange
autre
élu de la glaise
à parure de tourments

l'enfant s'est assis a regardé
le ciel
puis la terre
comme s'il avait compris quelque chose.

ludovic pautier/saint-sever/11-11-08

nb : illustration d'un dessin de lorca.

lundi 3 novembre 2008

Alborea ( là où l'aube n'a plus d'importance )

las alboreas sont les chants des noces gitanes.
l'éthymologie ( "alba" , l' aube ) n'engage que supputations vers des interprétations éloignées de l'utilisation rituelle de ce cante : chanter pour les fiancés au premier petit matin de cette nouvelle vie qui démarre parait symbolique mais n'a pas de rapport avec ce qui motive une alborea à l'origine, c'est à dire la célébration dans les letras de l'hyménée, suite à une défloraison manuelle qui doit prouver par la présence de taches de sang sur un drap, que la novia est bien vierge au jour dit.
cette tradition, c'est une femme âgée, la picaora, qui s'en charge en pénétrant la promise avec un doigt de la main droite recouverte d'un gant. le sang recueilli est ensuite utilisé pour tacher un tissu blanc en trois endroits . c'est la boà al deo.
il va sans dire que tout ceci n'est plus automatique et que beaucoup de familles s'en passent.
mais une union gitane sans la beauté des alboreas qui raconte de manière imagée cette cérémonie, ce n'est pas possible :

en un prado verde
tendi mi pañuelo
salieron tres rosas
como tres luceros


(dans une verte prairie
j'étendis mon mouchoir
sont apparues trois roses
comme trois étoiles)

d'autres temps forts accompagnent la cérémonie ( la farine, les sucreries, les pétales jetées sous les pieds des amants, le lancer de la toronja -gâteau en forme d'anneau- par la fiancée, la portée des nouveaux mariés sur les épaules des invités, les chemises déchirées et les jupons découpés exhibés ensuite comme des trophées...).
la boisson est abondante et la nourriture, elle aussi en quantité, permet de faire durer la juerga qui s'ensuit toute la nuit, parfois même plusieurs jours.
éclateront alors les bulerias puis les chants de la gravité et de l'envoûtement - solea, siguirya - nés de l'épuisement qui est souvent à la fois le pire et le meilleur allié du duende avec les acuités - exarcerbées les unes, émoussées les autres - particulières dues à l'alcool.

longtemps on a considéré que l'alborea ne devait en aucun cas se chanter en présence des payos, des non gitans. par peur de porter malheur, par volonté de ne pas galvauder les traditions les plus secrètes.
outre le fait que cette tradition de la défloraison manuelle a depuis été attestée historiquement dans beaucoup d'autres lieux du pourtour méditerranéens (et ce bien avant l'arrivée des calé en espagne ) , la divulgation à travers des enregistrements sonores et mêmes visuels de l'éxécution de ce chant, montre qu'aujourd'hui cette époque est révolue.
et c'est souvent avec fierté que les jeunes gitans tiennent à montrer à leur communauté, au-delà aussi d'ailleurs, qu'ils sont fiers de leurs origines et que ces mariages, et donc le moment particulier des alboreas, sont un moyen d'affirmer son enthousiasme, son orgueil même, de convoler selon un rite où se mélangent le païen,le chrétien et le gitan.
" bodas de sangre " d'après lorca. la cérémonie dévoilée et esthétisée par le maestro antonio gades.


en général il faut distinguer musicalement, les alboreas de boda qui sont des chants collectifs de celles que gravera un cantaor pour une anthologie par exemple (agujetas , anthologie ariola "medio siglo de cante flamenco" ).
dans ces alboreas collectives, il y a un moment important et rare en flamenco, c'est la reprise en choeur, à l'instar des fandangos del alosno, d'un refrain dit "cané".
le style de ce palo s'apparente à la buleria lente ( pa' escuchar ) ou à la solea por buleria. mais on peut en trouver chantée por tangos ou por sevillanas.
ce sont donc surtout les paroles qui vont déterminer si on est en présence d'un chant de noces.

les alboreas, bien évidemment, sont considérées aussi en fonction de leurs origines géographiques sur la cartographie des chants :
il y a celle de séville, la gaditana (cadiz) , la de grana' (granada), de jerez, de lebrija, de utrera, , de cordoba, de jaen.
étonamment on considère que la plus pure , la plus riche en référence aux variations et aux nuances qu'elle conserve, est la version de la région d'
ecija.
Ce qui est étonnant c'est que "la poële à frire" d'andalousie , la ville aux multiples giraldas ( neuf campaniles de mosquées reconverties, les sévillans peuvent aller se rhabiller pour une fois ), n'est pas spécialement connue pour être un creuset dans la formation ou l'évolution des chants.

Le document vidéo montre cette manière contemporaine de mélange des genres sans pathos qui permet à la niña pastori et à diego el cigala, de chanter por alboreas lors de la phase religieuse d'une boda gitana.
dans l'enceinte d'une église, les mariés écoutent avec délices l'honneur que leur font les deux artistes, les invités donnant un peu de compas et de juerga en entonnant, en coro cané , l'estribillo ( le refrain) et cadençant le rythme d'une cérémonie qui ,on s'en doute, se poursuivra au-delà des heures où l'aube n'a plus d'importance.

¡Olé salero, lo que ha llovío
las calabazas se han florecío !

¡Olé salero, olé salero,
que bien le pega a la novia el velo !