samedi 1 novembre 2014

...ce Torero


La vie est une force de l'oubli et ses vestales autant de points d'insertion qui clignotent quand tu allumes la page blanche. Deux Novembre & jour des morts. Le soleil est partout. Par le velux inondé j'aperçois le reflet d'un livre. C'est "Le corps juste". Page 24 le chapitre s'entête " Je veux quand même me souvenir de tout" , je la coinche.
"Ils ne veulent pas oublier leur base, comme on le dit d'une base de décollage, d'une base qui serait le lieu d'origine, le point du désir".
Un torero vient de mourir. Torero. C'est à dire aujourd'hui la liste excrémentielle des commentaires badigeonnés à la suite des oraisons en ligne. On n'est plus que ça. Des mots anonymes, désincarnés surgis dans la boîte de Pétri du net. Le point d'insertion clignote et zou. Sodome & Logorrhe, mauvaise haleine: latrinités.
Ce "point du désir" englobait ce Torero.
Malaga. Bureles de Diego Puerta. Le soir vers 19 h 30. On sait prendre la cambrure du temps ici. On la drape d'un châle sur la noce des corps malaguène, l'érotisme comme dilaté. A couper le souffle. A rester des heures au coin du bar Quitapenas. La modernité ne l'avait pas encore "derrumbé" celui-là, le café de Chinitas non plus. Depuis c'est fait. Casser les points du désir...
On était trop barré, on avait trop picolé de fino au concurso de Verdiales de la peña Juan Breva, on avait trop sombré nos yeux dans le nombril de la serveuse, on avait trop regardé les chevaux caracoler - derniers sursauts de la Feria del dia la peste équine à venir se lisait dans les crottins poussés dans les recoins , on avait trop de trop de trop. Vers 19 h 30 on était à la ramasse, vite les biftons vite. Vite 4 à 4 les escaliers jusqu'au tendido alto, vite prendre une bière au passage. On est encore dans le nombril. L'arène est un espace corporel. Nous, quelque part sous ses aisselles.
Les toros de Puerta sortent par la porte. Repartent aussi. On s'ennuie.
Là.
Une trinchera du Torero. Trincherazo, c'est plus long, c'est plus grand, c'est plus haut & plus profond. En appuyant à l'infini sur le [ra]. Le sable déplié, son lit défait. Je tends la main, les doigts tordus, je suis tout à coup La Trini* pourtant c'est moi qui crie. Ole. Si señor, ole. Mais je ne m'entend pas. Fulguration. Le ciel craque sous les rumeurs. J'écoute enfin mon jaleo. Il est loin, il traverse la mémoire.
Aujourd'hui seulement il prend fin.
Que Descanse En Paz et au-delà, Maître.


"Le corps juste" :  Christophe Dabitch ( texte ) Christophe Goussard ( Photos) sous-titré "Hamid Ben Mahi/ Alain Bashung ( éditions Le Castor Astral/2013 )

La Trini : Trinidad Navarro Castillo ( 1868-1930 ), Cantaora . "Créatrice" d'un cante por Malagueñas portant son "apodo".

jeudi 27 février 2014

Le dépouillé fastueux


Ils  pouvaient toujours retourner leurs bisbilles dans tous les sens, que "Si, te digo, la minera de untel" et que " No ! le "piqué" de tel autre", à un moment donné du grabuge il y avait sans coup férir l'un d'entre eux qui claquait ceci :
 " Y Paco ? "
Les chamailleries alors se dégonflaient plus vite qu'un doigt de virtuose sur une Hermanos Conde, les verres s'entrechoquaient de satisfaction, les sourires se libéraient.
 " Hombre, claro, que Paco...Paco es Paco ! "

Les tertulias de tocaores  se terminaient invariablement de la sorte.
Il n'y avait là pourtant rien d'intouchable, même si c'était Paco de Lucia qu'ils évoquaient. L'homme et sa guitare formaient à eux deux une simple bouée pour ne pas dériver mais aussi un fanal à ne pas déserter des yeux. C'était là que résidait l'essentiel. Ne pas dériver pour se rattacher envers et contre tout à la tradition qui coulait dans ses veines, cette tradition que minot il avait engrangée en écoutant les plus grands et les plus modestes - mais pas les moins affûtés- du chant et du toque dans le patio de la maison natale d'Algeciras, rameutés là par Antonio, le père, pour finir la soif et la nuit. Ne pas déserter non plus parce qu'il avait trouvé le passage qui menait à une autre expression flamenca, plus créative et plus diserte, plus libre simplement.

Le respect qu'on portait à Paco de Lucia dans les moindres recoins du flamenco m'a toujours impressionné. En général, quelqu'un qui a trouvé sa  liberté en la puisant autant dans les tables de la loi qu'au delà, un type du sérail qui s'émancipe et part taquiner d'autres harmonies, d'autres swings, allant même jusqu'à introduire de manière définitive un nouvel instrument dans les bases de la rythmique - le cajon peruano - sans demander la permission à personne, cet artiste pouvait tout aussi bien engendrer le désappointement, l'incompréhension, les rancœurs voire même le rejet, l'anathème. Il y avait à l'inverse des feux qui s'allumaient au bord de la cornée des cabales quand ils en parlaient. Paco c'était toujours "l'incroyable" , " le différent", " le sans égal" mais aussi "le dépouillé fastueux", " la rigueur passionnée".
Il avait surgi au flanc de Camaron et l'avait accompagné mieux que quiconque et les gitans pour cela le portaient au pinacle mais  mieux, il avait fait franchir les frontières du monde au flamenco. Il le portait en sa vérité première et lui ne se mettait jamais en avant. Les accords, les notes, les doigtés il les offrait, sa technique et sa puissance évocatrice étaient ses oriflammes et il se laissait guider par eux, on ne voyait que cela, on  n'entendait que cela. Sa guitare était comme le sixième doigt du panda. Vitale.

Le paysage du flamenco, celui que nous connaissions, celui que nous vivions comportait un certain nombre de vieux arbres vénérables, nous aimions et nous devions frotter nos désirs de savoir et d'apprendre à leurs écorces. Le bosquet dans lequel nous poussions à l'ombre de ces forêts comportait toutefois deux essences singulières dont on savait qu'elles feraient les meilleures rouelles pour le vin le plus profond : Camaron de La Isla et Paco de Lucia. Nous étions fiers d'être leurs contemporains et nous étions sûrs de nos convictions vis à vis d'eux. Le premier fut malheureusement arraché trop tôt à la terre. Le second nous restait et ses racines nous servaient de boussole. Nous pensions vivre et mourir à ses côtés. Paco, le maître et l'ami.
Hélas.

Alors, il ne faut pas se résigner. Il y a peut-être des statues à San Fernando et à Algeciras. Il y a certainement assez d'endroits au monde pour que sonnent para siempre les Lereles et les rasgueos des immortels que nous nous sommes imaginés.

Épitaphe, pourtant...

Je n'ai pas écouté tous les albums de Paco, certains de mes amis guitaristes en connaissent les moindres détails. J'ai toujours considéré le chant comme la matière inaugurale de la poésie du monde et avec cet antienne pour moi le cante trône et pour toujours. Mais Paco, quand tu poses tes doigts à l'endroit de la plainte hédonique de Jose, quand depuis tes yeux fermés on monte pour d'autres galaxies, quand je te vois écouter tes compadres jouer et que le plaisir de les entendre semble comme te traverser alors oui, tu es le plus grand !

Tu vois je n'ai pas pu dire " tu étais" , chacun sait pourquoi...
Il y a juste quelque chose que je voudrais te chanter :

"Cuando yo me muera, 
enterradme con mi guitarra 
bajo la arena. 

Cuando yo me muera, 
entre los naranjos 
y la hierbabuena. 

Cuando yo me muera, 
enterradme si queréis 
en una veleta. 

¡Cuando yo me muera!"


(FG Lorca)

Descanse En Paz.

nb : photo de Jean Louis Duzert




dimanche 19 janvier 2014

Au creux


De quoi se réchauffer les "aficiones" au creux de l'hiver indolent cette année.

" Que alegria de ser torero
en la cuadrilla de Paula 
y salir de banderillero
Y envidia le tengo a Paula
cuando sale a torear
y cita al toro en las tablas
con la muleta plega'  ".