mardi 31 mars 2009

Le ciego podcaste machado ( eso es modernidad )


- ciego !
- si, compare, que hay ?

- dicen, ils disent que tu fermes le bar le lundi soir pour aller faire de la radio ?
de la radio ! pero eso es del siglo pasao !
- claro ! mais on a du podtcast en magasin...
- du quoi ?
- du podcast, pour ceux qui voudraient écouter l'émission le siècle prochain.

c'est par là, c'est "falseta " sur radio campus bordeaux et c'est antonio machado qui tient les murs dans la dernière mouture de " la barraca del duende ", ce rendez-vous où seuls les chants trainent la fêlure et la démesure entre les mots.
mais tout cela, c'est à ahmed, fidèle technicien , bel orfèvre qui résume l'émission chaque semaine et aficionado al flamenco puro qu'on le doit. qu'il en soit encore une fois remercié ici.



Ya hay un español que quiere
vivir y a vivir empieza,
entre una España que muere
y otra que bosteza.
Españolito que vienes
al mundo, te guarde Dios.
Una de las dos Españas
ha de helarte el corazón.


"il y a maintenant un espagnol qui veut
vivre et qui commence à vivre,
entre une espagne qui meurt
et une autre qui baîlle.
Petit Espagnol qui viens
au monde, que Dieu te garde :
l’une des deux Espagnes
te glacera le coeur."

antonio machado dans campos de castilla.
collection gallimard poésie.

le livre de jacques issorel qui recueille les témoignages poignants et tendres des derniers jours de machado à collioure

la tombe de machado à collioure

mardi 24 mars 2009

Archipiels 21



dans une fenêtre de lumière l’herbe ne s’est affolée
qu’une fois.
la nuit a redit les mots
de la fin du jour.

à l’oreille de la porte étroite du songe
chaque pierre sera vivante
posée sur les sagaies du tonnerre.

la main du monde s’isolera
sous une sorte de sortilège.
le repos des flammes l’ avivera
pendant toute une saison
où les cheveux prennent ce teint d’huile.

la peau ne sera plus sans odeurs
les larmes en porteront pour les répandre
autour de la vulve rutilante
des cadavres de lucioles.

dans son absence charnelle
un liseré de limbes
persécutera le bord de chaque feuille
des peupliers

l’attente sucera les nervures
et brisera leurs nudités.
parce que la pluie n’est pas venue.

ludovic pautier / chroma

nb : photo d'une peinture de charly tastet. dont on reparlera.

samedi 21 mars 2009

Aux prises avec la tour d'ivoire


"Me voilà assis ( dans un café ) d'humeur propice à écrire un poème. A propos de quoi ?
Je ne sais pas. j'en ai envie, c'est tout
quand brusquement un jeune homme pressé s'approche de moi et dit : " Puis-je me servir de votre stylo ? "

Il a un enveloppe à la main. " Je voudrais marquer l'adresse dessus. " Il prend mon stylo et marque l'adresse sur l'enveloppe. Il ne plaisante pas avec ça. Il se sert vraiment
du stylo, lui. "

richard brautigan ( il pleut en amour / le castor astral )

mardi 17 mars 2009

archipiels 20 ( para el coronel )


estampe
morcelée
dans la borne
du labyrinthe

en suivant
les entrailles
de la source

tu es ce presque
équilibre
de semeuse d' oiseaux.

la lune les voit
ils courent l’eau
de l' hiver sous tes mains
cailloux de pulpe
qui plongent et prient
les verbes
d’un orient limitrophe.

sous cet ébène tendu
il s' échappe des voies lactées
de ton épuisement
une saignée
entre coeur et blé.


estampa
morcelada
en el mojon
del laberinto

siguiendo
las entrañas
del manantial

casi eres
equilibrio
de sembradora de pajaros.

la luna los mira
corren el agua
de un invierno bajo tus manos
piedras pulperas
que bucean y rezan
los verbos
de un oriente rayano

con este ebano tenso
se escapa por las vias lacteas
de tu rendimiento
una sangradera
entre corazon y trigo.


ludovic pautier


les portraits de fernanda de utrera, del niño miguel et de joaquin el canastero sont du grand photographe jose lamarca.
j'ai connu jose lamarca grâce à la complicité d'un fidèle de la barra de los pinchos del ciego, el coronel de la trinchera de paracuellos.
pepe lamarca est argentin, flamenco et c'est un rouge.un rojo de toda la vida.
ironique, élégant et éduqué quand il le faut, il vit en cantabrie, bien qu'en fin de journée on puisse l'apercevoir dans les bars et autres tavernes madrilènes.
un de ses haut-faits fut, dans son atelier du quartier de malasaña, de tirer un fameux portrait de camaron de la isla véritablement vénéré par toute la gitaneria andante ( si vous n'en n'avez pas vu mille avec cette photo sur leurs tee-shirts vous n'en n'avez pas vu un ).

durant plus de trente ans il a suivi la longue traîne de l'aristocratie flamenca pour en fixer les mains et les visages en autant de portraits de personnages de vérité.
il a pour seul viatique : l'amour de l'amour de l'art. et de ceux qui l'incarnent.
( bio largement inspirée du texte qui accompagne le magnifique portfolio, " por el amor al arte " , consacré à lamarca )

mercredi 11 mars 2009

Une énéide et une odyssée


Une fois le seuil franchi, ma truffe de setter irlandais des comptoirs a flairé que je ne mettrai pas ici les coudes sur le zinc, ou le bois verni.
j'ai senti que ma place était là, pas loin des gonds de la porte ouverte sur les quais et le grincement des tramways.
pas plus loin, pas plus près.
un ronron ,un écho me disait que je n'étais pas chez moi. enfin, sur mes terres. celles du bistro de la vie. de l'aficion gouaillante.
il y flottait aussi un air saturé du tiède des chemises impeccablement repassées et qui me semblait par trop respirable. léger, papillonant. mais fermé.
j'ai eu comme un refoulé de la lutte des classes.
mais j'étais bien ,serein, attentif. pour mieux me concentrer sur la parole d'alain et de françois garcia.

je dis « alain » alors qu'hier je disais montcouquiol, nimeño, monsieur.
parce que ce qu'il a dit au grand café castan de bordeaux me l'a si soudainement rapproché, que je ne peux plus faire comme si je ne l'avais pas croisé, même en silence.
en fait je dis « alain » à ses mots, à sa présence l'autre soir, à son histoire, à son regard et à sa belle façon de se lever pour nous parler alors que les autres restaient assis.
et surtout à sa main qui tenait le micro au milieu du « palo » et à son corps qui dit qu'il va mieux, bien même pourrait-on dire, mais qui traduit tout ce temps d'errance où la catastrophe d'arles l'avait mené. chacun de ses traits a souffert, souffre encore, mais il y a des yeux et des sons qui nous confient qu'on est devant un être sauvé.

« recouvre-le de lumière » et « le sens de la marche » tracent le portrait de types qui sont des hommes : son frère , le moyeu de tout cela , lui , les autres toreros , les multiples rencontres qu'ils ont été amenés à faire ... et ces deux ouvrages offrent à la littérature un véritable auteur. pas écrivain. auteur.
à vrai dire,ces catharsis vont au-delà de l'os.
elles offrent la moëlle d'une vie.
le père, christian puis alain, semblent un même personnage.
ce dernier ne raconte pas grand-chose du premier parce qu'il a disparu trop tôt pour pouvoir en brosser un portrait fini ou tout du moins des contours assez précis, mais on sent, j'ai senti, un écheveau.
malheureusement il se déroule sous la tutelle de la mort.
rapide, brutale, incompréhensible, innaceptable. et c'est tout le combat pour être en accord avec ce « tragique » qui rend les choses difficiles et le visage d'alain serré de plis, qu'on imagine des strates de douleurs.
pourtant, c'est d'avoir côtoyé cette mort que se transporte jusqu'à nous, grâce à la tauromachie , cette chaîne humaine si vraie et si forte.
c'est dans les clameurs de la foule du seul spectacle occidental où « le laid , le beau, le courage, la peur, le mensonge, la vérité... » - comme il l'a dit lui-même lundi soir- vous sautent à la figure, vous empoignent les tripes, que s'ouvre à nouveau la bouche de l'enfant qui se censure devant la violence du destin et qui catalyse cette scène primitive où la fin de l'animal n'est pas symbolisée mais ritualisée puis actée.
pas par abattage.
mais par la mort après le combat, le mystère , la force , l'artifice, la science, la transmission, le sacrifice où le destin transperce aussi parfois la vie des officiants.

c'est simple , pour moi, en revenant après avoir repassé le chambranle où je laissais en arrière les applaudisseents feutrés d'un public à l'attention lubrifiée comme un barbour, je pensais que j'avais la « chance » de vivre la construction d'une mythologie.
qu'on pourrait parler des nimeños comme dans une nouvelle énéide.

Aidé par la présence de jean-michel mariou, le contact avec l'univers plus « chevaleresque » de françois garcia s'est bien déroulé.
le moment que narre paco lorca, son héros dans « bleu ciel et or , cravate noire », est concommitent à l'explosion des premiers toreros français de l'après mai 68, dira-t-on.
Il y a donc une proximité d'époque et de gens cotôyés. un rapprochement des batailles où prouver son aficion, c'est d'abord faire montre aux autres de son incongruité sociale ( une ascendance auvergnate là, un milieu bourgeois ici pour le bordelais ) historique et politique (franco c'est l'espagne et l'espagne c'est franco, c'est l 'époque des rebellions étudiantes, des derniers garrots, des répressions contre les ouvriers et de la réprobation internationale culminante ). mais c'est aussi les frontières qui s'ouvrent, les routes qui s'améliorent, les mentalités qui bougent.
le roman de françois garcia est très , très inspiré de sa propre expérience de torero français et certainement aussi de celle des autres de sa génération et des « figures » qui l'ont accompagnée.
grâce à un système de cryptage délicat mais facile à décoder pour qui connait un peu son histoire de la tauromachie contemporaine, il s'affuble d'un alias , paco lorca donc , et travesti aussi les patronymes des autres ( el tio pepe, devenu el tio fino, critique taurin bordelais pas décrit sous son meilleur jour d'ailleurs ).
il avance ainsi dans son récit d'une expérience des apprentissages et de la solitude.
car ce qui frappe, c'est justement cela : paco lorca est confronté à cette initiation de l'être qui se construit au milieu du monde mais qui se fabrique son propre èthos, son tempérament, confronté à la profusion des sentiments amoureux, des étayages amicaux, de la bassesse du genre humain, du dédain des intellectuels, des coups du taureau, des ires du public...
cette solitude est excellement décrite dans le passage où , s'essayant à devenir revendeur pour gagner trois picaillons, lorca-garcia se retrouve à la merci de la frange interlope de ce monde qu'il veut vaincre et convaincre ( le mundillo taurino ) et qu'après péripéties il trompe, en s'appuyant sur l'aide bien involontaire d'un aficionado humble, andalou, currista jusquà la transe et avec qui il passe tout une corrida à saint-sébastien où le pharaon de camas « déchire les bandelettes » (je crois que l'expression est de georges dubos ).
cette rencontre fortuite est gorgée d'une grande humanité.
même ses compagnons de combat et de galères, ses proches , ses amis parmi les toreros apprentis ne peuvent accéder à cette rémission du bonheur d'être ensemble.
il y a une entraide formidable, un compagnonnage fabuleux ( « compañerismo » ) mais les taureaux , l'espagne durement réelle ( pas celle qu'on aperçoit dns la fumée des bars étudiants bordelais où on s'agite dans les soutiens aux peuples dominés ) sont des murs trop hauts et trop exigeants pour laisser tomber les poings.
il y aussi la faune du bar où il traîne quand il rentre à bordeaux, cet apoderado fantoche, réfugié politique, un oublié de l'histoire décrit avec tendresse acerbe, où cette mamie médocaine à qui il offre une encyclopédie qu'il est censé lui vendre.
c'est drôle et ça trucule parfois, souvent.
chaque personnage autour duquel l'auteur s'attarde peu ou plus longtemps a une chair qu'on goûte vraiment.
en cela garcia a réussi son livre.
rien de surplombant ou d'aigri dans sa relation. C'est une formidable traversée humaine tout d'abord. réussie par le prisme de l'écriture pour mieux relater l'échec qui donne du rehaut au cadre d'une vie qui s'amorce.
et puis , pour finir, il a trouvé une langue qui fonctionne à merveille avec l'enchâssement des dialogues par collage direct, non ponctué, dans le récit, par le passage -très « trip » ciné en V.O.- du français à l'espagnol, une verve véritable en fait.

autant la lecture du « sens de la marche » se fait comme le chemin de machado vers collioure - chaque mot est un caillou où les émotions trébuchent, où il faut déglutir et penser au pas suivant ( il a cité sartre de manière soudainement plus qu'approprié, j'avais oublié cette « esquisse de la théorie des émotions », mais ce fut la meilleure explication de texte donnée « une émotion c'est une intuition de l'absolu « ! )- autant la lecture de « bleu ciel... » est à la portée de tout ogre bibliophage même fatigué, car il se dévore de bout en bout.
Voilà.

puisqu'on parle de livres, de taureaux et de l'histoire des toreros français , en voilà un cher à mon coeur, un olivier, le deck, qui, à l'instar de cette génération d' homonymes ( « tocayos » en espagnol, ça sonne bien je trouve, mieux même, non ? ) que sont les baratchart, mageste ou martin , parti un peu plus tard que alain et christian montcouquiol ou françois garcia entre les encinas du campo charro, les villages de mala muerte, les premières écoles taurines et la calle de la cruz à madrid se fourrer dans la forge du toreo.
il en a ramené une poétique picturale, musicale et aujourd'hui verbale qui sera à l'honneur vendredi 13 mars à orthez pour un mano a mano avec andré velter ( « poésie sur parole » sur france-culture, « l'arbre-seul », les sonnets à chantal mauduit ...) , haute figure de l'écriture contemporaine et aficionado a los toros ( il était au mois d'août cet été au puerto pour la confrontation avortée morante/jose tomas, il vient de publier « tant de soleil dans le sang » qui aborde los toros comme qui n' a pas oublié de regarder le rond des arènes avec la force amoureuse ).

je joins- la présentation de l'acontecimiento.
va por ellos.

samedi 7 mars 2009

Un chiste






C'est juste une histoire. une blagounette. un chiste.
elle est allusive à ce que certains arborent sur leur poitrine ou sur leur veston et qui brille.
par sa fatuité.
cela vous fait penser à quelque chose ? à quelque soubresaut dans le landernau taurin ?
curro, francisco romero lopez, en a une, de breloque identique, qu'un politique lui a pendu à la boutonnière, un jour.
voilà comment je pense qu'il aurait pu traiter cet “asunto” ...


un jour, à séville, un fervent supporter du sevilla f.c. entre dans une de ces boutiques où on vous vend du tabac mais aussi toute une bimbeloterie qu'on appellerait aujourd'hui “ produits dérivés” .
jusque là , rien que du banal.
sauf que le gérant n'est autre qu'un des plus fidèles supporter du betis real balompie, l'autre club phare de la capitale andalouse.
les deux clubs se livrent une guerre de suprématie depuis toujours.
leurs histoires se mêlent à celles de la ville.
les aficionados de l'une sont exécrés par les socios de l'autre.
Tout cela dans une ambiance sévillanissime de bon aloi. mais, on est betico de père en fils, sevillista jusque dans les choix de vie.
bref, c'est capulet et montaigus chez joselito et belmonte.


donc voilà notre homme , du sevilla, dans l'antre de l'honni, celle d'un “der beti".
d'ailleurs, cela se voit qu'on est chez les rayés vert et blanc : tout, à part les paquets de cigarettes, est à l'effigie du club aimé : stylos, coupe-papiers, blague à tabac, porte-clés...
le sevillista, d'humeur taquine et croyant à la supériorité de sa passion , cherche alors à pousser à bout le betico en lui demandant après avoir acheté ses fortunas, avec insistance mais déférence :
“ oiga señor , que ando un poco despistao , no tendria algo del sevilla, que vengo de viaje y quiero traerle algo a mi primo y sabiendo su aficion al futbol, sabe... ”.
( “ écoutez monsieur, je suis un peu décontenancé, vous n'auriez pas quelque chose du sevilla, je suis en voyage ici et je veux rapporter quelque chose à mon cousin et comme je sais sa passion pour le foot...” )
l'autre, avec docilité car soucieux de ne pas mélanger commerce et affrontement quasi-idéologique, répond calmement que :
“no , no tenemos”.
l'autre insiste, plusieurs fois, mais rien n'y fait.
“ y , ni un boli o una cartera, algo sencillo pero bonito ? “
celui du betis ne cède pas à la tentation de mettre dehors l'importun bien que l'envie ne lui en manque pas.
il a compris.
il a flairé l'entourloupe, il a vu le bonhomme derrière la muleta.
mais bon, il est “acoralado”.
que peut-il faire ? un esclandre avec un client ?
dans ce cas, l'histoire ferait à coup sûr rapidement le tour de la ville et les sevillistas auraient bien entendu beau jeu de se gausser de l'irritabilité, du manque de tact et de sang-froid, de “toreria” , de l'autre camp. Comme en futbol. ils sont mauvais joueurs. très.
“ pffuufff ! picha , fijate , todo eso pa' un un mechero ! joer ! que incivilizaos ! ”
Bref, celui du sevilla est un retors, un malin mais il est à bout de “toques” qui pourraient faire “s'arranquer” ce taureau ,et puis , finalement, il trouve qu'il a assez de séries “bien rematadas” pour ramener cette histoire de “manso” dans son bar préféré et tout acquis à la cause afin de rire du bon coup joué.
il prépare alors sa " despedida " en lançant :
“ bueno, veo que no tiene na', pues me voy.
adios”

à ce moment-là , le patron de l'estanco de tabaco, l'interpelle en lui désignant le petit insigne, le pin's, qui orne le revers de son manteau et qui , como no, arbore les couleurs et le fanion du sevilla f.c. :
“ señor...”
“si , que hay ? ”

répond l'autre en regardant l'endroit vers lequel le doigt est pointé.
“ pues, creo que vd se ha manchao la solapa
...muy buenas”
( “c'est que, je crois que vous vous êtes taché le revers du vêtement ... bonne soirée” ).

mardi 3 mars 2009

Eclair éloge


Char, rené, confia un jour qu'il avait senti une présence semblable à celle d'un éclair à ses côtés.
la poésie le toucha à jamais :
« l'éclair me dure. la poésie me volera de la mort ».
écrire cela et c'est tous les feuillets d'hypnos et les seuls demeurent qui louvinent dans les taillis.
miguel hernandez dit à peu près ses luttes similaires avec ce titre : «  el rayo que no cesa ».
la tuberculose eut beau ronger ses poumons , sa mort ne put rien non plus contre l'infraction poétique puisqu'il continue à lui lancer des oignons, ses si beaux et odorants oignons , projectiles dérisoires, défi du corps hâve et du geste faible depuis son au-delà car la peur n'est pas de l'affronter mais d'être seulement au dessous de la stature de l'homme debout.

les « flamencos » , gitans ou payos, artistes, écrivains, que guy bretéché révèle admirer, ont su tirer des tours de meule de leur vie, de leurs capacités, leur foi, leur éthique, de leur amour du chant , des éclairs qui zèbrent et fulgurent l'histoire du cante jondo. Ils vertèbrent cette splendide et érudite somme qu'atlantica a eu la bonne idée d'éditer car , pour moi, elle vient en point d'orgue d'une ligne d'ouvrages et d'auteurs dont bretéché hérite sans dilapider , éventer ou détourner le patrimoine mais réussit aussi à en prolonger les contours , les accents, les partis-pris ou les engouements, les colères et à en combler les ombres lacunaires. Après les deval, leblon, pradal, vidal, sandoval , bois ou lemoguedeuc ce professeur d'histoire qui réside en bord de loire a trempé sa plume dans l'eau des meilleures sources de la marisma andalouse pour clarifier et vivifier une thématique passinonante , la genèse d'un art qui , comme le soulignait pepe bergamin , fait partie de la famille des sans alphabet.

manuel torre, dans ses yeux , les sons noirs

autour de onze chapitres gravitent les figures des plus grands à travers leurs histoires, petites, " minuscules "  dirait michon , ou grandes, de la gangue des peuples, celle des persécutés , des chassés, des laissés pour compte, des lies. En tout 33 personnalités de la voix , de la guitarre et de la danse flamenca. S'y ajoutent falla et lorca mais aussi miguel ceron, les machado père et fils, felix grande, blas vaga et rios ruiz, ricardo molina, pulpon,... autant d'intellectuels et de professionnels, de simples amoureux , d ' « aficionados cabales » que guy bretéché convoquent pour accompagner ce chemin historique éclairé et juste quant au ton ,aux arguments ou aux positions défendues fermement mais jamais sans clé de discussions.

alors , que reprocher ?
une fois de plus, et c'est une marotte, il faut constater l'absence d'un chapitre qui serait consacré aux membres de cette famille mais du côté français.
leur témoignage, leur histoire, me semblent aujourd'hui importants et devraient être partie prenante d'un tour d'horizon, exhaustif peut-être pas, mais juste.
parce qu'il nous dirait quelque chose de l'exil, de cette dernière trainée de migrants de la longue histoire des « poursuivis » du flamenco.
entendre par exemple le « tocaor » daniel manzanas parler de sa rencontre avec son voisin de palier qui n'était autre qu'un cantaor qui avait accompagné carmen amaya dans ses plus grandes tournées mondiales et qui s'était un jour fixé à paris pour les yeux d'un amour , c'est entendre la copla qui susurre :

« esa guitarra que toco cette guitare dont je joue
tiene boca y sabe hablar, a une bouche et sait parler,
pero le fartan los ojos mais il lui manque les yeux
pa' ayudarme a yorar  pour m'aider à pleurer."

Tout cela reste à écrire.
l'éclair a plusieurs lueurs,
Ojala !

nb : sur campos y ruedos la correspondance entre solysombra et mézigue a repris.justement on y parle de luis de almeria. gitan de port de bouc, ami, bonne personne et cantaor puro ( photo solysombra ).

dimanche 1 mars 2009

Marseille



rien n'est comme une poignée de sel sur la plaie des yeux et tout a le goût du vent qui soulève les tapis pendus entre les embrasures des deux ciels.
l'appel des gonds donne sur un cosmos liquide poreux. large. bleu qui ne rouille pas les mémoires.
rue d'aubagne la nuit est presque un flash de sens tremblant sous les épices jusque dans le sexe de la ville.
serrer fort le verre c'est déjà se saoûler avec la poisse orgueilleuse qui cloue quatre christs aux épines de stuc. c'est poursuivre les méandres du lacydon où l'anis avalanche.
derrière chaque ruelle , il y a du sang.

( ludovic pautier )






" Marseille est, a toujours été, le port des exils, des exils méditerranéens, des exils de nos anciennes routes coloniales aussi. Ici, celui qui débarque un jour sur le port, il est forcément chez lui. D'où que l'on vienne, on est chez soi à Marseille. Dans les rues, on croise des visages familiers, des odeurs familières. Dès le premier regard.
C'est pour ça que j'aime cette ville, ma ville. Elle est belle pour cette familiarité qui est comme du pain à partager entre nous. Elle n'est belle que par humanité. Le reste n'est que chauvinisme. De belles villes, avec de beaux monuments, il y en a plein l'Europe. De belles rades, de belles baies, des ports magnifiques, il y en a plein le monde. Je ne suis pas chauvin. Je suis marseillais. C'est-à-dire d'ici, passionnément, et de tous les ailleurs en même temps. Marseille, c'est ma culture du monde. Ma première éducation du monde.
C'est par ces routes de navigation anciennes, vers l'Orient, l'Afrique, puis vers les Amériques, ces routes réelles pour quelques-uns d'entre nous, rêvées pour la plupart des autres, que Marseille vit, où que l'on aille. Paris est une attraction. Marseille est un passeport. Quand je suis loin, et cela m'arrive souvent, je pense à Marseille sans nostalgie. Mais avec la même émotion que pour la femme aimée, délaissée le temps d'un voyage, et que l'on désire de plus en plus retrouver au fur et à mesure que passent les jours.
Je crois à cela, à ce que j'ai appris dans les rues de Marseille, et qui me colle à la peau : l'accueil, la tolérance, le respect de l'autre, l'amitié sans concession et la fidélité, cette qualité essentielle de l'amour. (...)
J'aime croire - car j'ai été élevé ainsi - que Marseille, ma ville, n'est pas une fin en soi. Mais seulement une porte ouverte. Sur le monde, sur les autres. Une porte qui resterait ouverte, toujours."

(jean-claude izzo )












" Marseille sortie de la mer , avec ses poissons de roche , ses coquillages et l’iode ,
Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants ,
Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont luisants d’eau marine ,
Le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras comme pour se partager le ciel ,
Et les cafés enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phosphore ,
Leurs verres , leurs tasses , leurs seaux à glace et leurs alcools ,
Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes.
Ici le soleil pense tout haut , c’est une grande lumière qui se mêle à la conversation ,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des torrents dans la montagne ,
Il prend les nouveaux venus à partie , les bouscule un peu dans la rue ,
Et les pousse sans un mot du côté des jolies filles .
Et la lune est un singe échappé au baluchon d’un marin
Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la nuit .
Marseille , écoute-moi , je t’en prie , sois attentive ,
Je voudrais te prendre dans un coin , te parler avec douceur ,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peut t’en aller ,
A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer.

(jules supervielle )












" Et nous irons prier la Vierge de la Garde
Qui regarde
Vers la rue des vergues
Et quand viendra le soir,la Reynarde,
Triste, les vieux quartiers aux murs poisseux et noirs.
Nous verrons le soleil se coucher dans le
Nous irons dans un bar infect boire du gin
Parmi les Malais bruns, les Anglais et les filles,
L'équipage retour de l'Océan Indien.
Et nous écouterons le chant brutal des races
Au cœur des grands marins lassés des entreponts."

(louis brauquier )