dimanche 31 août 2008

trensacq stances (archipiels 10)


j'avais quelque peu délaissé les archipiels.

sous l'impulsion de l'évocation de bernard manciet, ils resurgissent.
dans un texte écrit quelques jours après sa mort. juste dans les foulées d'un coup de fil à l'ami qui avait partagé ces derniers mois avec le poète. il pleurait seul sur la route qui l'emportait vers un autre sud.



A Bernard Manciet


1
le verre est brisé
toute son écorchure
vers la terre
dans son goutte à goutte
cours à ta bouche
tu meurs
quand les brasiers
se courbent
2
que parlent nos émois
en te liant les mains
que ta coulpe
reste sarabande
membrane de nos langues
claires et noires
je voudrais retrouver
murmure par murmure
la poussière
te donner
chemin dans la suée constellaire
nos argiles
car je ne sais rien de plus
tu es parti dans tous les feux
alors calmes
nous mettons ton linceul
sous carapace d'étincelle
une grève de sable rouge
habille tes lèvres closes
3
crieront-ils ton nom
les aliénés
atteindrons-nous ta flèche
sous la plaque d'étain
des éléments bruts
ce soir
où rien n'est immobile
les lauriers appellent de ton terrritoire
à une renaissance olfactive
4
la vasque de ton corps ne s'est pas rendue
à l'aurore
elle est restée ta demeure
estuaire corrosif et limoneux
la mériter serait la meilleure des veilles
5
oh oui veille veille
d'un feulement préviens-nous
qu'il soit entendu au travers
du moindre de nos sens
que ton souffle s'appuie
s'enronce
au rivet du sépulcre
le seul gardien sans bottes
toi
éperonnant nos flancs
destinés au perdreau du silence
6
nous avons appris à traquer
les orbes
jusqu'au dernier sable
par pure jubilation
dans le jeu des espaces
nous avons empli
la lèvre
d'une palpitation permanente
et pas une alerte
n'a manqué au fanal
nous avons connu la dissipation
de nos brumes
ta frêle échasse
s'inclinant
et donnant des cairns
à claires-voies
nous avons promis de célébrer
la tessiture des combats
les proches et les lointains
de téter la lune en plein jour
de bivouaquer à chaque solstice
près d'un feu âpre
et d' être fidèle
à toutes les hémorragies
nous avons chanté la pierre
où s'arrêtaient les ombres
où nos mains tremblaient
de saisir le monde
7
ta vie s'expulse
dans une seconde
à perdre
chaque dernier pas
en renvoi
des glacis de fêlure
d’une exhalaison
cousue
sur un fil
de la soie des araignées
il y a comme un enfantement
brutal
8
tu as proféré ta langue
en claquement de fouet
jusqu'aux pavois
de notre hébétude
jusqu'au départ
devant le catafalque
tu as bu
remâché toutes les astringences
jusqu'au cœur des étoupes
tu as joui de la silice
dans le vent
tu ne voulais pas scarifier la lande
mais rendre son éther
d'une épaisseur plus violente
tu es devenu gorge de gerfaut
buveur à la racine
des sèves tantriques
de la fougère
du pin
de la molinie bleue
9
le ciel crache
des prières
tu avales
leur océan
l'ornière est
ta messe de gravier
et ce tombeau
d’un sable presque
transparent
prise la forme du désert
dans ta tête allongée
10
même sans t'approcher
je ne sens rien d'un épuisement
tu gardes vie
pour cela
nous jetterons
chaque fragment de ta peau
jusqu'à chaque bout d'ongle
pour que tu halètes
dans la paupière du monde.


ludovic Pautier (trensacq stances)

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