mardi 16 décembre 2008

Diego


"La route m'aspire et la cité n'est plus qu'un mirage avec sa ceinture de tours en béton mais je suis à l'entraînement avec Tomàs, Diego, Pablo et Juliàn. Le sable est sous la houle des capotes et des muletas. La pierre déserte renvoie l'écho des appels, des encouragements où l'on te dit que c'est bien pendant le temps infini que peut durer une passe :
Allons petit taureau
allons…
regarde
moi je place ma cuisse en avant
je pense à bien te mettre les reins
là où la sueur
huile
les plus beaux gestes
regarde, regarde
c'est comme ça
bieeeeeeeeeeen .
Les hommes font les taureaux. En fait ,en empoignant une paire de cornes équarries et reliées par un morceau de bois, les hommes sont les taureaux. Durant le simulacre, suivant la peau qu'on a choisie, on souffle, on racle, on piétine, on frôle, on défie. En hiver les lumières s'allument tôt et on torée dans la vapeur des haleines."


( ludovic pautier / la présence des gorges /
éd. revue pension victoria / novembre 2008 )

la cocote minute du taureau vapeur.

cette cité c'est huesca. c'est dans ses arènes que j'ai passé la période de ma vie au plus près du toreo. tomas et diego, ce sont les frèrs luna. matadors de toros. éleveur de bravos. pablo et julian sont banderilleros. ils sont tous les quatre de grande probité. de haute aficion.
il y avait aussi à l'entrainement tous les jours l'abnégation des chavales, les mistons pourrait-on dire, de l'école taurine et les conseils du père de julian.
je pourrais dire aussi le billot de bois et la capsule de la bouteille de bière el aguila qu'il fallait percer en son centre à chaque coup de puntilla pour ne pas que le taureau se relève comme une mousse trop chaude remonte dans un goulot agité. les courses millimétrées pour sauter au balcon du carreton des banderilles et y déposer deux morceaux de bois aux crêpons fripés qu'on voudrait être une joli paire de coquelicots des blés. les discussions sans fin autour de tel souvenir, de tel taureau, de telle suerte, de tel triomphe, de tel rêve impossible et pourtant...


au balcon, une paire de coquelicots...

tomas était novillero et se présenta au certamen du coso de la calle pignatelli à saragosse. un lot de manolo gonzalez, je crois. l'ami français qui m'accompagnait vit au patio de caballos à la fin de la course un jeune homme aux yeux si cernés qu'on aurait pu les imaginer dans les orbites d'un marin au long cours de retour de terre-neuve après avoir essuyé 10 jours de typhon.

tomas luna. torero.

son frère diego aspirait lui aussi à prolonger la saga familiale en toréant des novilladas sans picador. il gagna l'année suivante le bolsin du club taurin de bougues, encore sis à bascons dans ces années. les deux frères prirent l'alternative dans les arènes de la capitale oscence, leur terre, des mains de ponce, tomas, et de celles d'espartaco , diego.

diego luna. torero.

ils n'ont depuis eu que peu l'occasion de sortir l'habit de lumières qui attend sous la chemise, cette protectrice de la poussière qui éteint les ors. les alamares se ternissent seuls en fait. sous les éléments d'érosion bien connus du monde des taureaux : opportunité, régularité, chance, profondeur, foi, don, étincelle, relations...il en faut des conjectures pour fabriquer un hérault. mais tomas et diego n'ont pas failli à l'aficion, au courage et à l'art qui les habitaient dès le départ.

la luna toreando al toro de la tierra oscence.

parallèlement ils développèrent un élevage de provenance du fer de "los bayones" appelé "sistac luna" . passion taurine intégrale.
à ceci s'ajoutait que lorsque nous voyagions pour aller au campo ou dans un tentadero les voix qui sortaient des hauts-parleurs portaient les couleurs brunes des chants libérés de la pauvre métrique occidentale.
saragosse et huesca peuvent s'enorgueuillir d'avoir en leur murs une communauté gitane importante qui fait de ces deux villes du nord des foyers d'addiction au flamenco qui irradie jusque chez des payos ayant pourtant la jota chevillée au corps. d'ailleurs certaines letras, certaines origines de chants , sont étroitement liés à l'aragon. mais ceci est une autre histoire. qu'on partagera plus tard.

diego luna a toujours, comme tous ces toreros pour la vie, le ver, le gusanillo, qui vrille les tripes quand on sait le plaisir , l'irrépressible envie, de toréer a gusto un animal encasté.
il y a quatre jours maintenant c'était pour une noble cause qu'il s'engonçait dans les tissus serrés de l'habit dit "champêtre". alors qu'on va plutôt au charbon. mais en espagne, tout doit se faire dans le contraste des élégances. élégance du fond sauvage qui livre un combat franc et loyal, élégance des formes de la bravoure des corps au creux de l'esprit du geste.
c'était un festival pour jose carlos galera, un enfant hospitalisé aux états-unis et dont les soins nécessitent des fonds.
diego , à l'heure de parachever un combat pour une vie par cet acte paradoxal, transgressif et vrai de la mise à mort , a subi la douleur de la corne qui s'enfonce dans les chairs les plus exposées au moment du coup d'estoc. trois trajectoires importantes dont une à fleur de fémorale. pronostic : "grave".

pieta de la mémoire

en ouvrant les nouvelles de la planète des taureaux dimanche tard dans la nuit, une image a brûlé mes yeux : tomas et julian entourait diego blessé qu'on emportait vers l'infirmerie.
est montée alors l'impression que j'étais là aussi, mes molécules éparpillées dans cette agitation à porter un secours invisible et dérisoire mais solidaire dans l'élan vital pour le torero ensanglanté, à la peau qui grimaçait de douleur.
j'étais là, oui, je n'ai jamais quitté les uns et les autres de cette époque. ils sont de la famille de ma mémoire. un des miens avait mal, un des miens avait la vie qui s'en allait par la béance de cette cuissse fouaillée...

irinie du sort : au moment où la cogida se produisait j'étais à jurançon pour dire des textes dans lesquels l'influence de cette ancienne quête initiatique aragonaise n'est pas sans conséquence. on scandait, on sussurait , on chantait, on avançait dans une matière poétique qui dit la corrida des âmes avec nicolas. et j'avais dans ma sac de voyage les quelques exemplaires de "pension victoria" où figure ce texte qui ouvre la page que j'écris maintenant.
il porte le titre de "la présence des gorges".
il s'intitule aussi "récit de voyage inachevé".
"inachevé".
heureusement.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Siempre a mas....mais "putain de poteau qu'est ce que tu foutais la"..................

Anonyme a dit…

bruno, bienvenido,
j'ai oublié de préciser que les photos ne sont pas de moi (j'ignore qui sont les auteurs). à l'époque de huesca la photo était le dernier de mes soucis. j'ai touours pensé que l'écriture était ma meilleure captation de l'image sur le vif. aujourd'hui je dirais oui mais pas que...je me mords un peu les doigts de n'avoir que peu de choses figées sur pelloche de toutes ces époques. ou alors d'être tributaire de l'oeil des autres...
quant au poteau, tu ne lui trouves pas un côté don quichotte, ulhan ou lancier prêt à attaquer le géant des arènes de huesca ? si, regarde, il y a même son chapeau.

un abrazo.

ludo

Anonyme a dit…

Si effectivement ,je vois la lance et le bouclier mais question caballo place a mon imagination .....et Sancho épuisé etait il à l'auberge du coin?

Anonyme a dit…

mais si, mais si , et le bosquet à gauche où semble assis une ramure d'arbre nu en forme d'outre ? sancho sur son âne ! il n'est donc pas au coin du bar.

ludo