mercredi 8 février 2012

Cara y cruz de la pantoufle


L'homme regardait la pantoufle posée hors mesure, en objet qui disait sa trivialité mais aussi sa temporalité, sa connexion au monde, la fatigue et la mort. on l'avait certainement traîné là ? qui , quoi ? l'homme, la charentaise géante ? les deux. D'ailleurs c'était inéluctable, ils étaient en face à face, avec entre eux un mouvement de méditation, une "intranquilité". A quel instant l' illisible submergea celui des deux qui avait le sens de son vertige , c'est à dire l'homme, ce spectateur peut-être poussé par un guide de papier écorné dans un  réflexe muséal d'homo touristicus, peut-être simplement par sa femme et sa lacheté de ne pas savoir lui dire non ou par la curiosité, la bonne vieille curiosité ? Nous étions à la Fondation Tapies de Barcelone dans les années 90 et ce visiteur  qui avait vraisemblablement déjà fait  le tour de la question, devant le chausson amorphe s'écria : "ah là, non ! là non !!!" et tourna les talons , pris la direction de la sortie. Il avait sans doute compris , et moi des années après, que, ce qui l'envahissait à cet instant précis, lui demandait de s'enfuir, de s'effrayer et se révolter devant la métamorphose d'un objet en preuve cosmogonique, en idée de la vérité.


Cette prise de l'univers émanait de toutes les oeuvres, des sculptures aux collages, aux matières, en passant par les "Tapies de Tapies", oeuvres de son chemin, de ses essais, et conservées par sa femme.
D'ailleurs quand Tapies se retrouva confronté au flamenco pour faire l'affiche de la biennale de Séville de 2004 il mit au centre de la vitalité de son tableau un zapato de taconeo pour incarner cet art où l'artiste cherche  à pousser dehors ce qu'il ressent dedans, dans cet acte de laisser la chaussure à bride venir frapper si fort le plancher qu'on croirait que l'objet peut créer lui-même cet interstice où les duendes l'aspireront - ce vacarme, ce tremblement figuré sur la toile est parfois par manque de mystère terriblement grotesque - ou s'en échapperont pour se répandre dans les yeux des spectateurs qui peut-être riront, se moqueront, partiront eux aussi devant ce trop plein, ce cortège de mises à nu. Sur ce rouge, l'encre noire figurait alors cette mise en danger. Cara y cruz.

En repensant à tout cela, je me dis que le maître catalan aimait , quien sabe  , écouter ce tiento dont voici la letra et ce sera mon hommage :

" En una piedra me asiento
Como si la piedra fuera
Alivio de mi tormento
Compañerita de mi alma
Alivio de mi tormento"

Autre hommage, celui de Mateo Sodore qui nous fait le bonheur de pouvoir  publier le portrait magnifique de celui dont il aime ressasser la phrase : 
"Une oeuvre d'art devrait laisser le spectateur perplexe, le faire réfléchir sur le sens de la vie"...
QEPD.



2 commentaires:

Maja Lola a dit…

Cara y cruz. Une ambivalence pas toujours révélée et visible par l'oeil qui découvre l'oeuvre.

Je n'ai su qu'il y a peu que les croix que Tapiès peignait dans de nombreuses toiles n'étaient que les lettres "T" de Tapiès et Teresa (son épouse) ... des "T" barrés par une ligne horizontale ferme, chargée et volontaire qu'un graphologue qualifierait d'énergique et déterminée.

Me gustan mucho los zapatos rojos ... como los de un tal Juan de Juan que me hicieron soñar hace poco sobre un tablao flamenco ....

Marc Delon a dit…

je suis entré chez un ami dont un mur du salon arbore un grand tableau : des traînées rouges. je lui ai demandé, qu'est-ce que c'est ?

- "Quatre doigts de sang"

de Antonio Tapies