jeudi 28 août 2008

per/por/pour ...


colmenar viejo.
30 août 1985.
la corne droite du taureau "burlero" de marcos nuñez épingle sèchement un coeur de 21 ans. celui de jose cubero "el yiyo". cela, alors même que l'épée du torero lui transmettait implacable sa foudre.
la blessure fait comme une lèvre dans son dos mais c'est de sa bouche qu'il balbutie des mots pour son peon : "pali, celui-là m'a tué".







le 3 juin 2005 l'écrivain bernard manciet ferme les yeux une dernière fois à l'hôpital de mont-de-marsan en laissant sa vie et une oeuvre considérable qui s'écrit (des manuscrits surgissent régulièrement) encore aujourd'hui.


entre-temps le poète avait salué le jeune homme d'un texte travaillé dans une langue giboyeuse et ordonnée telle une tragédie antique. il y a le taureau, l'enfant, le choeur mais aussi l'ainé, le mort et les mouettes. l'oeuvre , "Per el Yiyo", est cosmique. des eaux les plus souterraines au ciel sans fin, deux vies, qui sont destinées à un affrontement, se brisent l'une contre l'autre. bernard manciet approuvait ce combat et le justifiait en ces termes :

"La tauromachie garde quelque chose d'important : ce qui s'appelle la grandeur. Celle de l'homme et de la bête. C'est un des derniers refuges pour un siècle qui manque de grandeur. Le taureau est un grand seigneur et le matador aussi. Je dis matador parce que ce dernier tue. " (revue le matricule des anges/1997)

il met en avant une des valeurs portées par les deux protagonistes présents dans un ruedo et s'en tient là. c'est ce qu'il conçoit quand il pense, qu'il ressent ou qu'il voit la tauromachie. avec des propos sans afféterie. sans circonvolutions pour se pseudo-justifier intellectuellement.
je l'ai toujours entendu ou lu ainsi.
par exemple sur la langue occitane dans laquelle il écrivait et qu'ensuite il traduisait lui-même en français (ne laissant jamais non plus s'éditer l'une sans l'autre) , il a dit :

«Je me suis rendu compte, en me traduisant en français, qu'à une langue fait défaut ce que possède l'autre" ( revue oc 1959 )

et il précisait cela parce qu'il avait juste auparavant fourbi ses dagues contre ceux qui auraient voulu le déguiser en chantre de la langue gasconne :

«Je ne suis pas régionaliste, au contraire. Je me bats depuis quarante ans pour empêcher que ce travers qui consiste à enfermer la culture occitane ne devienne un vice. Je n'ai pas besoin de l'Occitanie (...) Je n'aime pas être propriété de quelqu'un. Propriété de l'Occitanie, je ne le serai jamais, pas plus que celle des Français ou des Espagnols. Je vais mon chemin, qu'ils me laissent tranquille. Je barre droit. S'il y a des tempêtes on verra bien.» (le matricule des anges/1997)

il faut tout de même préciser que jose cubero naquit à bordeaux, sa famille ayant pour un temps émigré là pour des raisons économiques.
à cette époque, le père du yiyo entraina au toreo de salon ses fils et un certain nombre de practicos français pour ce qui fut certainement la plus éphémère et prestigieuse (sans le savoir aucunement, c'est ce qui est magnifique) école taurine de l'hexagone.
manciet connaissait tout cela et le choix de ce torero ( paquirri mourut juste un an avant alors qu' il était au sommet de sa gloire ainsi que très apprécié dans les arènes du sud-ouest par exemple) n'est pas anodin.

donc, en ce 30/08/08, afin de rendre hommage au yiyo qui fut un des toreros de l'enfance de nos aficions, voyons, ce chemin. voilà ce que poète y a laissé :

"tu seras le taurau et je serai l'enfant
tu seras l'enfant et moi le taureau
les houppes je serai et toi mes tonnes de peur
tu auras peur de moi le soir
j'ai toujours tremblé pour un enfant
moi le taureau je t'aimerai et tu t'en riras
tu m'aimeras pour rire

et mes yeux riront de la mort car c'est étrange
de mourir pour un enfant pour un crochet de lis
dans mon béton de nuit
je serai l'orme et toi la vigne qui retentit
les guirlandes applaudiront
lorsque la peur applaudit autour du coeur
peur d'une lune affûtée

que je tiens dans mon poitrail
et qui se lève dans mes entrailles mes treilles
-elle les parcourt sans bruit-
et je la porte au-dessus de mes yeux aveugles
aveugle de toi car d'un dieu
qui ressemble à la neige


j'ai l'esprit plein de flocons
toi la balance dans mon poitrail
je te bercerai sur mon front
comme une prairie violette
toi mon chargement de fleurs sombres
mes cornes comme un halo à ton Kir
toi ma charge de martinets criards
mon cuir : la nuit- et toi le rabâchage

des Hauts de la nuit
j'ai longtemps attendu ton lever de lune
comme une déception
j'ai lu tous les mauvais astres
assoifé de défaites fraîches
jai bramé aux remuemments d'en haut et des lieux bas
pour l'amertume de toi seule amande

sur mon garrot tu fais déborder
le vin dans tes torches le bol
dans ta jeunesse et je lui vais au centre pour le pétrir et réjouir
cruchade noire et cognassier étoilé de coings
je serai de tes coings inondé
et des heurts ta voile s'épanouit
fiançailles de cygnes

sur la brouette de mon dos tu poses l'horoscope
des esprits vifs comme une corbeille
comme des mâchoires de tenaille-tu seras
la branche d'osier étoilée
je serai les tenailles de ton coeur frais
fiançailles des signes dans le ciel
je viens assurément des mauvaises étoiles au fond

j'ai dormi parmi elles

elles m'ont brûlé le cuir de leurs idées fantasques
dont me voilà tison bloqué
et je luis foie étal
tout puissant sur les enfers respirants
des fleurs charnues et leur garance
j'y rêvai la langue recourbée
ta viande neuve en rond

mes poids d'horloge surent y danser
vers tes espiègleries-cime de l'olivier
-toi espiègle de dieu"


("Per el Yiyo" éd. l'escampette/1996
début du texte. première prise de parole du taureau)



nb : ce texte est fait pour le théâtre, ou du moins pour une lecture mise en scène.
jean-louis thamin l'avait proposé en 1997 au théâtre du port de la lune avec trois acteurs/récitants. personnellement je n'avais pas été convaincu.

depuis, plus rien.

un souhait donc. que quelqu'un essaye de le remonter pour faire encore valoir la langue de manciet au travers de cette célébration " poémachique".

nb2 : à propos de tauromachie, manciet a aussi honoré la landaise puisqu'il a écrit un splendide "Rachou" (éd.atlantica/2002).

nb3 : la photo de bernard manciet en n&b est de pascal fellonneau.
le monument est bien sûr la sculpture en hommage au yiyo qui se trouve devant les arènes de madrid.

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