Les mots, ceux qui passent sous vos yeux -là- ou ceux qui s'emmêlent encore dans ma tête, ont eu du mal à prendre vie. Il y a si longtemps. De tout. De la fébrilité de se dire que ce soir on va aux arènes. A los toros. De l'envie que tout se déroule non pas comme on le calibrerait si on s'interrogeait sur la "tarde" parfaite mais comme toute quête. Avec ses certitudes et ses doutes, ses étonnements, ses emportements, son subjectif objectif, ses aspirations, ses prières & ses coups de sang. Il y a si longtemps que cela s'est étiolé. Pas l'aficion. Non. Pas le désamour. La lassitude. Celle qui regarde l'esprit par lequel on s'est façonné une ardeur et qui constate la muralité impavide du sentiment opposé à tout cela. La déconvenue. Les sentiments d'aphasie. Trouver ce monde creux alors qu'il vous a rempli de clameurs viscérales, d'enchantements si parfaits & imparfaits ("L'imperfection est la cime" Bonnefoy). De voyages au coeur de la "piel" d'Espagne. Sans regarder les kilomètres. Juste la distance entre les taureaux Osborne et le ciel.
Bref, 4 années sans monter jusqu'aux tendidos.
Pour ne plus voir le toreo tourner en rond autour d'un animal devenu
anecdote et surtout l'initialisation du triomphe de l'insipide en
inspiration auteuriste. La tauromachie d'appétit, ce combat où tout
se mastique et s'éprouve, stupidement magnifiée en menu "Bonne dégustation".
Quatre ans avec seulement un tentadero. Lucien, Patrick & ses élèves (Solalito, El Rafi...) et des vaches de Chauvet au mitan de la Camargue. Un rond de planches et de l'herbe. Le "Lorenzo" dans nos yeux plissés. Ce goût et cette odeur d'une tauromachie agreste. Reposé. Abandonné aux plaisirs de la simple leçon de ces hommes prenant leur pied de doubler par le bas un animal un peu frustre et qui rompt ensuite dans la serge du "Chinois" à la classe si aérienne et suffisante. Au beau sens de ce qui s'attache à tout sauf au clinquant. Même dans les adornos. Et tout de même une course, une vraie comme on dit. Parce que c'était la fête. Celle des amis en
goguette. Tu parles. Trois taureaux à s'ennuyer. Et encore. L'ennui n'est pas
le mal. D'un ennui peut s'offrir l'incongru, le passager, le détail.
Non. Trois taureaux finalement à pressentir que la désillusion va
devenir chronique. Irrémédiable. N'avoir comme envie que le
spectacle ne fasse plus partie de vous. Alors vite. Descendre à la buvette des
arènes et passer l'épiphanie de cette sagacité au mal qui ronge par le fil du
gin-tonic. Avoir un peu honte. Etre pris soudain pour un enfant qui
s'est fait pipi au caleçon. Penser que cette même sensation
reviendra si on y retourne encore une fois. Et sentir que ce liquide
assez chaud qui vous coule entre les cuisses n'est pas si déplaisant
au final. Le soulagement des choses tenues & retenues. L'énurésie
d'une passion.
Les bêtes et les hommes de ce jour
sans, je ne veux même pas m'en rappeler. Mais ce ne fut pas
n'importe où. C'était à Bilbao. Au Botxo. Aste Nagusia's fever
par-dessus tout. L'an dernier j'ai failli revenir. Nous déambulions
barrio de San Francisco. On cherchait encore où boire un peu de vins
d'vie autour de ce Nervion de jus frelatés par le bois, le sucre, la
médiocrité. J'ai regardé l'heure. 18H30. Le temps ne s'étant pas
arrêté pour l'ivresse, en ce cas pour le "gusano de los toros ni hablar"...On est reparti au bar "Ander" écluser des preparaos. Sans regret.
Mais je me suis promis que ce serait
là. Le retour, si un jour.
Alors le 24 Août de cette année j'ai à nouveau fouillé dans ma poche sans arrêt pour bien m'assurer que le billet
était là. Alors j'ai scruté le ciel. Alors j'ai humé le vent.
J'ai compté les heures et les pas, les gestes & l'horloge
interne du comme avant. Tout s'oublie. Mais rien ne se défait. Ne se
désincarne.
Le 24 Août fut amer. Des taureaux
incroyablement laids. Sorte de kits pour sortir en arène de première
catégorie mais sans la fonction vitale. Le bouton pour s'allumer non
fourni. Seul Roca Rey au 6°...avec un animal pétri de vacuité mais
lui décelant quelques larmes d'envie d'être autre chose qu'une
pauvre chose. Il se mua en puisatier. Il me donna la force de ne pas
jeter le billet du lendemain au fond de la cuvette des toilettes.
Le 25 Août, donc. Toros de Alcurrucen.
Encaste Nuñez. De la reata des musiciens pour une
moitié. De celle des labeurs pour l'autre. Rien de spectaculaire. Du
moins pour Bilbao. Mais du fond de caisse. Des perches veletas & de belle couleur. Un entrain certain. Une présence. Le dernier
fit son devoir au premier tiers. Mais au second il fut le seul sur 12
taureaux vus combattre en 2 jours à poursuivre les nimbeurs de
harpons jusqu'aux barrières. Ah...Et à demander à son matador de
venir le chercher à l'endroit où l'on sort quand c'est nécessaire
la bouche d'arrosoir. Au centre. Sur ce sable d'obsidienne fumée.
Alors Diego Urdiales, qui avait déjà dit beaucoup de choses à son
premier, s'avança vers "Gaiterero" et croisa son coeur au
milieu. Le reste n'appartient qu'à ce qui court à perdre haleine
une fois les blés fauchés. Au regain.
Crédits : Reproduction d'une litho de Pierre Parsus pour une publication de "Regain" de Giono et phto de l'agence EFE.